ACTE PREMIER - SCÈNE VI



LES MEMES, SEREBRIAKOV, MARIA VASSILIEVNA, VOINITZKI donnant le bras à ELENA ANDREEVNA SONIA et YOULIA entrent.

YOULIA (en embrassant SONIA.)
Chérie! Chérie!

ORLOVSKI (va à leur rencontre; s'adressant au professeur.)
Sacha! Bonjour, mon vieux, bonjour, mon ami! (Il l'embrasse.)
Ça va? Dieu merci!

SEREBRIAKOV
Et toi, compère? Tu as l'air tout à fait en forme. Très heureux de te voir. Il y a longtemps que tu es rentré?

ORLOVSKI
Vendredi dernier. (A MARIA VASSILIEVNA.)
Maria Vassilievna! Et comment va la santé, Votre Excellence?
(Il lui baise la main.)

MARIA VASSILIEVNA
Mon cher ami…
(Elle l'embrasse sur le front.)

SONIA
Mon petit parrain!

ORLOVSKI
Sonetchka, mon cœur! (Il l'embrasse.)
Ma colombe, mon petit serin…

SONIA
Vous avez toujours votre bonne figure, si sentimentale, si sucrée…

ORLOVSKI
Elle a grandi, elle a embelli, elle est devenue une grande fille, ma mignonne…

SONIA
Comment ça va, en général? La santé?

ORLOVSKI
Terriblement bonne.

SONIA
C'est un as, mon parrain… (A FEDOR.)
Je n'ai pas encore remarqué le personnage principal! (Ils s'embrassent.)
Comme il est bronzé, tout couvert de poils… une véritable araignée!

YOULIA
Chérie!

ORLOVSKI (à SEREBRIAKOV.)
Alors, comment vis-tu?

SEREBRIAKOV
Comme ça, tout doucement… Et toi?

ORLOVSKI
Moi? De quoi me plaindrais-je? Je vis! J'ai cédé ma propriété à mon fils, j'ai marié mes filles à de braves garçons, et maintenant il n'y a pas homme plus libre que moi. Je n'ai plus qu'à me promener.

DIADINE (à SEREBRIAKOV.)
Votre Excellence arrive un peu en retard. La température du pâté a déjà considérablement baissé. Permettez-moi de me présenter : Ilia Iliitch Diadine, ou encore Gaufrette, comme d'aucuns m'appellent avec beaucoup d'esprit, à cause de mon visage marqué de petite vérole.

SEREBRIAKOV
Très heureux.

DIADINE
Madame! Mademoiselle! (Il salue ELENA et SONIA.)
Tous ceux qui sont réunis ici, Excellence, sont mes bons amis. Jadis, j'avais de la fortune, mais, pour des raisons de famille, ou encore pour des raisons indépendantes de la rédaction, comme on dit dans les centres intellectuels, j'ai été obligé de céder ma part à mon propre frère, lequel par suite d'un hasard malheureux a perdu soixante-dix mille roubles appartenant à l'État. Mon métier : j'exploite des éléments tumultueux. J'oblige des vagues bouillonnantes à faire tourner les roues d'un moulin que mon ami le sylvain m'a loué.

VOINITZKI
Ferme ton robinet, Gaufrette!

DIADINE
Je m'incline toujours avec vénération (Il s'incline.)
devant les lumières de la science qui éclairent les horizons de notre patrie. Excusez mon audace : je rêve de faire une visite à Votre Excellence, afin d'exalter mon âme en parlant des derniers progrès de la science.

SEREBRIAKOV
Mais je vous en prie, je serai très heureux.

SONIA
Parlons un peu de vous, parrain. Où avez-vous passé l'hiver? Où êtes-vous allé vous cacher?

ORLOVSKI
Je suis allé à Gmunden, ma douce, je suis allé à Paris, et puis à Nice, à Londres…

SONIA
Voilà qui est bien! Quel veinard!

ORLOVSKI
Tu n'as qu'à venir avec moi en automne. Tu veux?

SONIA (chante.)
"Il ne faut pas me tenter en vain…"

FEDOR IVANOVITCH
Ne chante pas à table, sinon ton mari aura une femme stupide.

DIADINE
Il serait intéressant de contempler cette table à vol d'oiseau. Quel bouquet délicieux! Tout est ici réuni : la grâce, la beauté, le profond savoir, la gloi…

FEDOR IVANOVITCH
Quel langage délicieux! Dieu sait ce que c'est! Tu parles comme si quelqu'un te passait un rabot sur l'échine…

ORLOVSKI (à SONIA.)
Et toi, mon amie, tu n'es toujours pas mariée?

VOINITZKI
Voyons, qui voulez-vous qu'elle épouse? Humboldt est déjà mort, Edison est en Amérique, Lassalle est mort aussi… L'autre jour, sur sa table, j'ai trouvé son journal intime, un énorme cahier; je l'ouvre et je lis : "Non, je n'aimerai jamais personne… L'amour n'est que l'élan égoïste du Moi vers un individu de l'autre sexe…" Et je ne sais quoi encore : transcendant, le point culminant d'un principe intégral… Fichtre! Je me demande où tu as appris tout cela?

SONIA
Oncle Georges, tu ne devrais pas faire de l'ironie, toi moins qu'un autre.

VOINITZKI
Pourquoi te fâches-tu?

SONIA
Encore un mot, et l'un de nous partira d'ici. Moi ou toi…

ORLOVSKI (riant aux éclats.)
En voilà un caractère!

VOINITZKI
Oui, c'est un drôle de caractère, mes amis ! (A SONIA.)
Eh bien, ta patte! Donne ta petite patte !(Il lui baise la main.)
Paix et amitié! Je ne recommencerai plus.

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