ACTE IV - SCÈNE PREMIÈRE


ELENA ANDREEVNA
Ilia Iliitch, mon cher ami, demain vous retournerez à la poste.

DIADINE
Je n'y manquerai pas.

ELENA ANDREEVNA
J'attendrai encore trois jours. Si mon frère ne répond toujours pas à ma lettre, je vous emprunterai de l'argent et j'irai à Moscou. Je ne peux tout de même pas rester chez vous, au moulin, jusqu'à la fin de mes jours!

DIADINE
Cela va de soi… (Un temps.)
Je n'ose pas vous faire la leçon, ma chère dame, mais toutes vos lettres, vos télégrammes, mes voyages quotidiens à la poste, tout cela, excusez-moi, c'est de l'agitation en pure perte. Quelle que soit la réponse de monsieur votre frère, vous finirez bien par retourner chez votre époux.

ELENA ANDREEVNA
Non, je n'y retournerai pas… Il faut raisonner logiquement, Ilia Iliitch. Je n'aime pas mon mari. Tous ces jeunes, pour qui j'avais tant d'affection, m'ont traitée injustement, du début à la fin. Pourquoi retournerais-je à la maison? Vous me direz : c'est votre devoir. Je le sais parfaitement — mais, je le répète, il faut raisonner logiquement…
(Un temps.)

DIADINE
Oui… Le grand poète russe Lomonosov s'est enfui du gouvernement d'Arkhangel pour trouver son bonheur à Moscou. C'était noble de sa part, bien sûr… Mais vous, pourquoi vous êtes-vous sauvée? Pour parler franchement, il n'y a nulle part de bonheur pour vous… C'est le sort du serin de rester dans sa cage et d'observer le bonheur des autres, — eh bien, il n'a qu'à y rester toute sa vie.

ELENA ANDREEVNA
Et si je n'étais pas un serin, mais un libre moineau?

DIADINE
Voyons, chère madame! On reconnaît un oiseau à son vol. A votre place, une autre aurait trouvé le moyen, pendant ces quinze jours, de faire le tour d'une dizaine de villes et de jeter de la poudre aux yeux de tous. Mais vous, vous n'avez réussi qu'à venir jusqu'au moulin, et déjà votre âme en est tourmentée. A quoi bon tout cela! Vous resterez encore quelque temps chez moi, votre cœur finira par s'apaiser et vous retournerez chez votre époux… (Il dresse l'oreille.)
Quelqu'un vient ici en voiture…
(Il se lève.)

ELENA ANDREEVNA
Je m'en vais.

DIADINE
Je n'ose pas vous encombrer plus longtemps. Je vais chez moi, au moulin, faire un petit somme. Ce matin, je me suis levé avant la déesse Aurore.

ELENA ANDREEVNA
Revenez ici quand vous aurez fini de dormir. Nous prendrons le thé ensemble.
(Elle va dans la maison.)

DIADINE (seul.)
Si j'habitais un centre intellectuel, on pourrait publier ma caricature dans un journal satirique, accompagnée d'une légende hautement spirituelle. Voyez-moi ça! A mon âge, avec mon physique ingrat, j'ai enlevé sa jeune épouse à un célèbre professeur! C'est délicieux!
(Il sort. Entrent YOULIA et SEMIONE.)

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