ACTE III - SCÈNE IV
LES MEMES, JELTOUKHINE, YOULIA
JELTOUKHINE
Bonjour, messieurs.
YOULIA
Bonjour, mon petit parrain! (Ils s'embrassent.)
Bonjour, Fédia! (Ils s'embrassent.)
Bonjour, Egor Petrovitch ! (Ils s'embrassent.)
JELTOUKHINE
Alexandre Vladimirovitch est-il chez lui?
ORLOVSKI
Oui. Il est dans son cabinet de travail.
JELTOUKHINE
Il faut que j'aille le voir. Il m'a écrit qu'il avait besoin de moi pour une affaire.
(Il sort.)
YOULIA
Egor Pétrovitch, vous a-t-on livré de l'orge hier selon votre commande?
VOINITZKI
Oui, je vous remercie. Combien vous devons-nous? Vous nous avez livré encore autre chose au printemps, je ne sais plus au juste quoi. Il faudrait faire nos comptes… J'ai horreur des comptes embrouillés et qui traînent.
YOULIA
Au printemps, vous avez pris huit quarts de sceau de blé, Egor Pétrovitch, puis deux génisses, un jeune taureau, et on a envoyé chercher du beurre pour votre ferme.
VOINITZKI
Bref, on vous doit combien?
YOULIA
Comment voulez-vous que je vous le dise, Egor Pétrovitch? Il me faudrait un boulier.
VOINITZKI
Je vais vous l'apporter.
(Il sort et revient aussitôt avec un boulier.)
ORLOVSKI
Ton frère va bien, mon poulet?
YOULIA
Dieu merci, ça va. Où avez-vous acheté votre cravate, mon petit parrain?
ORLOVSKI
En ville, chez Kirchitchev.
YOULIA
Elle est mignonne. Il faudra en acheter une semblable à Lénia.
VOINITZKI
Voilà un boulier pour vous.
(YOULIA s'assied et commence à compter sur le boulier.)
ORLOVSKI
Quelle ménagère le bon Dieu a donné à Lénia ! Un petit bout de femme, haut comme trois pommes, niais regardez-la travailler! Voyez-moi ça!
FEDOR IVANOVITCH
Oui, — et lui ne fait que flâner en se tenant la joue. C'est un flemmard.
ORLOVSKI
Ma chère petite commère… Vous ne savez pas, elle porte un manteau de marchande! L'autre vendredi, je passe par le marché et je la vois dans son grand manteau qui se promène entre les chariots…
YOULIA
Voilà, vous me faites faire des erreurs!
VOINITZKI
Allons ailleurs, mes amis. Dans le grand salon, par exemple. J'en ai assez d'être ici…
(Il bâille.)
ORLOVSKI
Va pour le grand salon. Ça m'est bien égal.
(Ils sortent par la porte de gauche.)
YOULIA (seule, après un temps.)
Fédia s'est déguisé en Tchétchène… Voilà ce qui arrive quand on n'a pas reçu de bons principes de ses parents… Il n'y a pas plus bel homme dans tout le gouvernement, il est intelligent, il est riche, mais à quoi cela lui sert-il? Il a l'air d'un imbécile fini…
(Elle compte sur le boulier. Entre SONIA.)