ACTE II - SCENE VII
FEDOR IVANOVITCH (sur le seuil de la porte.)
Vous êtes seul? Il n'y a pas de dames ici? (Il entre.)
C'est l'orage qui m'a réveillé. Une pluie formidable! Quelle heure est-il ?
VOINITZKI
Le diable le sait!
FEDOR IVANOVITCH
J'ai cru entendre tout à l'heure la voix d'Eléna Andréevna.
VOINITZKI
Elle sort d'ici.
FEDOR IVANOVITCH
Quelle femme splendide! (Il examine les fioles qui sont sur la table.)
Qu'est-ce que c'est? Des pastilles de menthe? (Il en mange plusieurs.)
Oui, une femme splendide… Que se passe-t-il? Le professeur est malade?
VOINITZKI
Oui.
FEDOR IVANOVITCH
A quoi sert une existence pareille? On raconte que les Anciens précipitaient les enfants faibles et chétifs du haut du mont Blanc. C'est des types dans son genre qu'il faudrait jeter dans un gouffre!
VOINITZKI (avec irritation.)
De la Roche tarpéienne et non pas du mont Blanc! Quelle ignorance crasse!
FEDOR IVANOVITCH
Va pour la Roche, je m'en fiche pas mal. Pourquoi es-tu si triste ce soir? Tu plains le professeur, ou quoi?
VOINITZKI
Laisse-moi tranquille.
(Un temps.)
FEDOR IVANOVITCH
Ou bien serais-tu amoureux de sa femme? Hein? Eh bien… à ta guise, soupire, si tu veux, seulement écoute-moi : si j'apprends qu'il y a seulement un mot de vrai dans les potins qui courent un peu partout, je serai sans pitié : je te précipiterai de la Roche tarpéienne…
VOINITZKI
Elle est mon amie.
FEDOR IVANOVITCH
Déjà?
VOINITZKI
Qu'est-ce que cela veut dire : déjà?
FEDOR IVANOVITCH
Une femme ne peut être une amie pour nous qu'après avoir été une camarade, puis une maîtresse.
VOINITZKI
C'est une philosophie bien vulgaire.
FEDOR IVANOVITCH
Bon prétexte pour boire un coup. Viens, je crois qu'il me reste de la Chartreuse. Nous allons en boire et, à l'aube, nous irons chez moi. Ça vous va-t-y? J'ai un intendant, Luc, qui ne dit jamais "cela vous va?", mais toujours "ça vous va-t-y?" Un sacré gredin, d'ailleurs. Alors, ça vous va-ty? (Voyant SONIA qui entre.)
Seigneur! Excusez-moi, je n'ai pas de cravate!
(Il se sauve.)