ACTE III - Scène VII



BOIS-D'ENGHIEN, BOUZIN.

Bouzin (paraissant au fond à gauche)
Je n'entends plus de bruit… ma foi, je ne vais pas coucher là !

Bois-d'Enghien
En voilà un raseur avec son occidomanie ! (Voyant Bouzin qui sort de gauche sur le palier, vivement, en se précipitant.)
Ne fermez pas !

Bouzin (qui avait fait déjà le mouvement de fermer la porte, ne peut réprimer ce mouvement à temps, et la porte se referme)
Oh !

Bois-d'Enghien (contre la porte)
Ah ! que le diable vous emporte !… Et je vous crie encore : ne fermez pas !

Bouzin
Qu'est-ce que vous voulez ?… ça a été plus vite que ma volonté.

Bois-d'Enghien (passant au 2)
C'est agréable, me voilà encore à la porte de chez moi !

Bouzin (riant)
Mais qu'est-ce que vous faites dans cette tenue sur le palier ?

Bois-d'Enghien
Ce que j'y fais !… Si vous croyez que c'est pour mon plaisir…

Bouzin
Ah ! ah ! c'est amusant !

Bois-d'Enghien (furieux)
Vous trouvez, vous ?… Parbleu ! Ce n'est pas étonnant, vous êtes habillé, vous ! (Il s'assied sur le siège de droite, sans voir qu'il y a un pistolet dessus. Se relevant aussitôt.)
Oh ! (Voyant le pistolet ; à part.)
Oh ! quelle idée ! (Il ramasse le pistolet et, le cachant derrière son dos, il va à Bouzin, et, très aimablement.)
Bouzin !

Bouzin (souriant)
Monsieur Bois-d'Enghien ?

Bois-d'Enghien (même jeu)
Bouzin, vous allez me rendre un grand service !

Bouzin (même jeu)
Moi, Monsieur Bois-d'Enghien ?

Bois-d'Enghien (même jeu)
Donnez-moi votre pantalon.

Bouzin (riant)
Hein ?… Oh ! Vous êtes fou !

Bois-d'Enghien (changeant de ton et marchant sur lui)
Oui, je suis fou ! Vous l'avez dit, je suis fou ! Donnez-moi votre pantalon ! (Il braque son revolver sur Bouzin.)

Bouzin (terrifié et venant s'acculer à l'extrémité de la cloison de séparation)
Oh ! mon Dieu ! Monsieur Bois-d'Enghien, je vous en supplie !

Bois-d'Enghien (même jeu)
Donnez-moi votre pantalon !

Bouzin
Grâce, Monsieur Bois-d'Enghien, grâce !

Bois-d'Enghien
Allons, vite ! votre pantalon ! ou je fais feu !

Bouzin
Oui, Monsieur Bois-d'Enghien… (Terrifié, il défait son pantalon en s'adossant à la cloison.)
Oh ! mon Dieu ! quelle situation ! Moi, en caleçon, dans l'escalier d'une maison étrangère !

Bois-d'Enghien
Allons ! allons, dépêchons-nous !

Bouzin
Voilà, voilà, Monsieur Bois-d'Enghien ! (Il lui donne son pantalon.)

Bois-d'Enghien (prenant le pantalon)
Merci !… Votre veste, à présent ! (Il braque à nouveau son pistolet.)

Bouzin (navré)
Hein ?… Mais, Monsieur, qu'est-ce qui me restera ?

Bois-d'Enghien
Il vous restera votre gilet… Allons, vite, votre veste !

Bouzin (donnant sa veste)
Oui, Monsieur Bois-d'Enghien, Oui !

Bois-d'Enghien
Merci !

Bouzin (piteux contre la cloison, tenant son chapeau des deux mains contre son ventre pour dissimuler sa honte)
Oh ! pourquoi ai-je mis les pieds ici ! (Bois-d'Enghien, pendant ce temps, est allé s'asseoir sur la banquette, avec les vêtements, a posé son pistolet à sa droite et enfile le pantalon de Bouzin. Une fois les deux jambes passées, il se lève et va à droite achever de se boutonner, en tournant le dos aux spectateurs. Bouzin, apercevant le pistolet déposé par Bois-d'Enghien sur la banquette, sa figure s'éclaire et mettant son chapeau.)
Oh ! le revolver ! (Il va jusqu'à lui à pas de loup et s'en empare. Cela fait, après avoir assuré son chapeau d'une petite tape de la main, il s'avance, l'air vainqueur, le chapeau sur l'oreille et, avec un geste plein de promesses ; indiquant Bois-d'Enghien.)
À nous deux, maintenant, mon gaillard ! (À Bois-d'Enghien, en dissimulant son revolver, et, avec un ton gracieux, comme l'autre avait fait précédemment.)
… Monsieur Bois-d'Enghien ?

Bois-d'Enghien (achevant de mettre le pantalon)
Mon ami ?

Bouzin
Mon pantalon.

Bois-d'Enghien
Hein ? (Il rit.)

Bouzin (braquant son revolver, et terrible)
Vous allez me rendre mon pantalon, ou je vous tue !

Bois-d'Enghien (continuant de se vêtir)
Oui, mon vieux, oui.

Bouzin
Oh ! vous savez, je ne ris pas. Mon pantalon ou je tire ! je tire !

Bois-d'Enghien (passant la veste)
Parfaitement, allez, allez !

Bouzin (appuyant vainement sur la gâchette du pistolet)
Hein ?

Bois-d'Enghien
Seulement, c'est pas comme ça, tenez, c'est comme ça !… (Du bout des doigts et aux yeux ébahis de Bouzin, il tire l'éventail du canon du revolver que Bouzin tient toujours par la crosse.)
Vous ne savez pas vous y prendre, mon ami !

Bouzin
Je suis joué ! (Il pose l'éventail tout ouvert sur la banquette.)

Bois-d'Enghien (riant)
Ah ! ce pauvre Bouzin ! (Il reprend l'éventail, le rentre dans le pistolet et le fourre dans sa poche.)

Le Concierge (dans l'escalier)
Venez, Messieurs, venez !

Bouzin (se penchant au-dessus de la rampe)
Allons, bon !… Voilà du monde ! (Il gravit quatre à quatre les marches qui montent aux étages supérieurs.)

Bois-d'Enghien
C'est égal ! ça fait du bien de se sentir habillé, même dans les vêtements d'autrui !

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