ACTE III - Scène IV
BOIS-D'ENGHIEN, BOUZIN, puis LE GÉNÉRAL puis LE FLEURISTE.
(Bouzin venant du bas arrive sur le palier et va vers la porte de droite.)
Bouzin
Bois-d'Enghien… au deuxième ! C'est ici ! (Il sonne à droite.)
Bois-d'Enghien (qui a versé de l'eau dans son verre de toilette et s'apprête à se laver les dents)
Allons, bon ! On sonne, et Jean qui n'est pas là. Qui est-ce qui peut venir à cette heure-ci ! Tant pis ! On attendra !
Bouzin
Ah ! ça, il n'y a donc personne ! (Il ressonne.)
Bois-d'Enghien
Encore !… Je ne peux pourtant pas aller ouvrir dans ce costume !
Bouzin (s'impatientant)
Eh bien ! voyons ! (Il sonne longuement.)
Bois-d'Enghien (entr'ouvrant sa porte et passant la tête tout en dissimulant son corps derrière le battant de la porte)
Quoi ? Qu'est-ce que c'est ?
Bouzin (traversant le palier)
Ah ! Monsieur Bois-d'Enghien, c'est moi !
Bois-d'Enghien
Vous ! Qu'est-ce que vous voulez ? Je ne suis pas visible ! (Il veut refermer sa porte.)
Bouzin (l'empêchant de fermer)
Ce ne sera pas long, Monsieur. C'est Me Lentery qui m'envoie…
Bois-d'Enghien (même jeu)
Mais non, voyons ! Je m'habille !…
Bouzin (même jeu)
Oh ! moi, Monsieur, ça n'a pas d'importance.
Bois-d'Enghien
Après tout, comme vous voudrez… Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? (Bouzin entre dans le cabinet de toilette dont Bois-d'Enghien referme la porte.)
Bouzin
Eh bien ! voilà ! C'est Me Lentery qui m'a chargé de vous remettre cet exemplaire de votre contrat. (Il tire un contrat plié de sa poche.)
Bois-d'Enghien
De mon contrat ! Ah ! bien ! il tombe bien ! il est joli mon contrat ! Vous pouvez le déchirer, mon contrat !
Bouzin
Comment ?
Bois-d'Enghien
Mais d'où arrivez-vous ? Vous ne savez donc pas qu'il est rompu, mon mariage ? Et tenez ! (Mettant sa brosse à dents dans sa bouche et l'y maintenant par la pression de ses mâchoires, tandis qu'il prend le contrat des mains de Bouzin.)
Voilà ce que j'en fais de votre contrat ! (Il le déchire en deux.)
Bouzin
Oh ! Eh bien ! et moi qui étais chargé de vous remettre la note des frais et honoraires.
Bois-d'Enghien (avec un rire amer, pendant que Bouzin ramasse les morceaux du contrat)
Ah ! ah ! ah ! la note des frais, Ah ! ah ! ah ! la note des frais… Ah ! il en a de bonnes ! Tout est rompu et il faudrait encore que ça me coutât de l'argent. Ah ! non !
Bouzin
Cependant…
(Pendant ce qui précède, le général, avec une figure où se dissimule mal une colère contenue, surgit de l'escalier et sonne à droite.)
Bois-d'Enghien
Allons bon !… Qui est-ce qui vient là encore ?
Bouzin
Pardon, mais…
Bois-d'Enghien
Oui, oui, tout à l'heure ! Tenez, voulez-vous me rendre un service… je n'ai personne pour ouvrir, voulez-vous y aller ?
Bouzin
Volontiers ! (Il fait mine d'aller à la porte du palier.)
Bois-d'Enghien (l'arrêtant et lui indiquant la porte du fond)
Non. Tenez, par là… Vous suivez le couloir et à droite… Vous m'excuserez et vous direz que je ne puis recevoir.
Bouzin
Parfait. (Il sort par le fond, le général ressonne.)
Bois-d'Enghien
Qu'est-ce qu'on a donc à sonner comme ça, ce matin ?
Le Général (furieux)
Caraï ! Me van hacer esperar toda la vida ? (Il sonne longuement avec colère.)
Bois-d'Enghien (riant)
Oh ! oh ! on s'impatiente !
Voix de Bouzin (à droite)
Voilà, voilà !
Le Général (prenant du champ en gagnant à reculons le milieu du palier)
Eh bienne ! voyons ! (Bouzin ouvre la porte.)
Monsieur Bodégué ?
Bouzin (qui a fait deux pas sur le palier, reconnaissant le général)
Ciel ! le Canaque ! (Il esquisse une volte-face rapide, se sauve éperdu et ferme brusquement la porte au nez du général.)
Le Général (furieux)
Boussin ! Quel il a dit ? la Canaque ? Veux-tu ouvrir ? Boussin ! Veux-tu ouvrir ? (Il sonne et frappe à coups redoublés sur la porte.)
Bois-d'Enghien (au bruit que fait le général, ouvrant sa porte qui donne sur le palier et passant la tête, tout en se cachant derrière le battant de la porte)
Eh bien ! qui est-ce qui fait ce tapage ?… Le Général ?
Le Général (entrant comme une bombe chez Bois-d'Enghien, qu'il bouscule au passage)
Vous ! c'est vous ! Bueno ! Tout à l'heure, vouss ! Boussin il est ici ?
Bois-d'Enghien
Mais oui, quoi ?
Le Général
Il m'a nommé "la Canaque" ! Boussin ! "la Canaque" ! (Il a gagné l'extrême gauche n° 1.)
Bouzin (affolé, paraissant au fond)
Monsieur, c'est le géné… (Reconnaissant le général.)
Sapristi, encore lui ! (Il referme brusquement la porte et disparaît comme un fou.)
Le Général
Loui ! Attends, Boussin ! Attends, Boussin !
Bois-d'Enghien (essayant de s'interposer)
Voyons ! voyons !
Le Général
Laissez-moi ! Tout à l'heure, vouss ! (Il repousse Bois-d'Enghien et se précipite par le fond à la poursuite de Bouzin.)
Bois-d'Enghien
Non, mais c'est ça, ils viennent se dévorer chez moi, à présent ! (Il ouvre la porte donnant sur le palier pour voir, toujours derrière son battant de porte, ce qui va se passer.)
Bouzin (apparaissant par la porte donnant de droite, qu'il referme brusquement, s'élance dans l'escalier en passant devant Bois-d'Enghien sans s'arrêter)
Ne lui dites pas que je monte ! Ne lui dites pas que je monte !
Bois-d'Enghien (riant)
Non !
(Bouzin se cogne dans le fleuriste qui, pendant ce qui précède, est descendu d'un pas pressé.)
Le Fleuriste
Faites donc attention ! (Le Fleuriste et Bouzin disparaissent, le premier descendant, le second montant.)
Le Général (surgissant de droite)
Où il est Boussin ? Où il est ?
Bois-d'Enghien (derrière son battant)
Tenez, il descend ! il descend !
Le Général (se penchant au-dessus de la rampe)
Oui, yo le vois !… (Se précipitant dans l'escalier qu'il descend quatre à quatre.)
Attends, Boussin ! Attends, Boussin ! Ah ! yo souis oune Canaque ! (Il disparaît.)
Bois-d'Enghien (pendant que Bouzin apparaît effondré sur la rampe de l'escalier)
Oui, cours après ; tu auras de la chance si tu le rattrapes !