ACTE I - Scène VII



Les Mêmes, BOIS-D'ENGHIEN, puis FIRMIN.

Bois-d'Enghien
Là ! je suis prêt ! (Regardant le journal.)
Allons, bon, encore un ! (Il se précipite entre Lucette et Fontanet et arrache le journal des mains de ce dernier.)
Donnez-moi ça !… donnez-moi ça !

Tous
Encore !

De Fontanet (ahuri)
Eh bien ! qu'est-ce que c'est ?

Bois-d'Enghien
Non, ce n'est pas le moment de lire les journaux ! On va déjeuner ! on va déjeuner ! (Il roule le journal en boule.)

Lucette
Oh ! mais voyons, c'est ennuyeux, puisqu'il y a un article sur moi !

Bois-d'Enghien (fourrant le journal dans sa poch)
Eh bien ! je le range, là, je le range ! (À part.)
Non, mais tire-t-il, ce journal !… tire-t-il !

De Fontanet (presque sur un ton de provocation)
Mais enfin, Monsieur !

Bois-d'Enghien (même jeu)
Monsieur ?…

Lucette (vivement)
Ne faites pas attention ! (Présentant.)
Monsieur de Fontanet, un de mes amis ; Monsieur de Bois-d'Enghien, mon ami. (Elle appuie sur le mot "mon".)

De Fontanet (interloqué, saluant)
Ah ! ah ! enchanté, Monsieur !

Bois-d'Enghien
Moi de même, Monsieur ! (Ils se serrent la main.)

De Fontanet
Je ne saurais trop vous féliciter. Je suis moi-même un adorateur platonique de Mme Lucette Gautier, dont la grâce autant que le talent… (Voyant Bois-d'Enghien qui hume l'air depuis un instant.)
Qu'est-ce que vous avez ?

Bois-d'Enghien
Rien. (Bien ingénument.)
Vous ne trouvez pas que ça sent mauvais ici ?
(Chenneviette, Lucette, Marceline et Nini ont peine à retenir leur rire.)

De Fontanet (reniflant)
Ici ? non !… Maintenant, vous savez, ça se peut très bien, parce que, je ne sais pas comment ça se fait, l'on me dit ça souvent et je ne sens jamais. (Il s'assied sur le canapé et cause avec Chenneviette debout derrière le canapé.)

Lucette (vivement et bas à Bois-d'Enghien)
Mais tais-toi donc, voyons, c'est lui !

Bois-d'Enghien
Hein !… ah ! c'est… ? (Allant à Fontanet, et étourdiment.)
Je vous demande pardon, je ne savais pas !

De Fontanet
Quoi ?

Bois-d'Enghien
Euh !… Rien ! (À part, redescendant un peu.)
Pristi, qu'il ne sent pas bon ! (Il remonte.)

Firmin (du fond)
Madame est servie !

Lucette
Ah ! à table, mes amis !

Marceline (se précipitant la première)
Ah ! ce n'est pas trop tôt. (Elle entre dans la salle à manger. Bois-d'Enghien la regarde passer en riant.)

Nini
Allons, ma chère amie, moi, je me sauve !

Lucette (l'accompagnant)
Alors, sérieusement, tu ne veux pas ?

Nini (prenant l'en-tout-cas qu'elle a déposé contre le canapé)
Non, non, sérieusement…

Lucette (pendant que Nini serre la main à Fontanet et à Chenneviette)
Je n'insiste pas ! J'espère que quand tu seras duchesse de la Courtille, ça ne t'empêchera pas de venir quelquefois me voir.

Nini (naïvement)
Mais, au contraire, ma chérie, il me semblera que je m'encanaille.

Lucette (s'inclinant)
Charmant ! (Tout le monde rit.)

Nini (interloquée, mais riant avec les autres)
Oh ! ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !

Marceline (reparaissant à la porte de la salle à manger, la bouche pleine)
Eh bien ! vient-on ?

Lucette
Voilà ! (À Nini, qu'elle a accompagnée jusqu'à la porte du vestibule.)
Au revoir !

Nini
Au revoir ! (Elle sort.)

De Chenneviette (assis sur le tabouret du piano)
Eh bien ! mais… la voilà duchesse de la Courtille !

Lucette
Ah ! bah ! ça fera peut-être une petite dame de moins, ça ne fera pas une grande dame de plus.

De Fontanet
Ça, c'est vrai !

Lucette
Allons déjeuner ! (Bois-d'Enghien entre dans la salle à manger. À Fontanet qui s'efface devant elle.)
Passez !

De Fontanet
Pardon ! (Il entre dans la salle à manger.)

Lucette (à Chenneviette qui est resté rêveur au-dessus du canapé)
Eh bien ! toi, tu ne viens pas ?

De Chenneviette (embarrassé)
Si !… seulement j'ai… j'ai un mot à te dire. (Il redescend.)

Lucette (redescendant)
Quoi donc ?

De Chenneviette (même jeu)
C'est pour la pension du petit. Le trimestre est échu…

Lucette (simplement)
Ah ! bon, je te remettrai ce qu'il faut après déjeuner !

De Chenneviette (riant pour se donner une contenance)
Je suis désolé d'avoir à te demander ; je… je voudrais pouvoir subvenir, mais les affaires vont si mal !

Lucette (bonne enfant)
Oui, c'est bon ! (Elle fait le mouvement de remonter, puis redescendant.)
Ah ! seulement, tâche de ne pas aller, comme la dernière fois, perdre la pension de ton fils aux courses.

De Chenneviette (comme un enfant gâté)
Oh ! tu me reproches ça tout le temps !… Comprends donc que si j'ai perdu la dernière fois, c'est qu'il s'agissait d'un tuyau exceptionnel !

Lucette
Ah ! oui, il est joli, le tuyau !

De Chenneviette
Mais absolument ! c'est le propriétaire lui-même qui m'avait dit, sous le sceau du secret : "Mon cheval est favori, mais ne le joue pas ! c'est entendu avec mon jockey… il doit le tirer ! "

Lucette
Eh bien ?

De Chenneviette
Eh bien ! il ne l'a pas tiré !… et le cheval a gagné… (Avec la plus entière conviction.)
Qu'est-ce que tu veux, ce n'est pas de ma faute si son jockey est un voleur.

Firmin (paraissant au fond)
Mlle Marceline fait demander à Madame et à Monsieur de venir déjeuner.

Lucette (impatientée)
Oh ! mais oui ! qu'elle mange, mon Dieu ! qu'elle mange ! (Firmin sort.)
Allons, viens, ayons égard à la gastralgie de ma sœur ! (On sonne.)
Vite, voilà du monde ! (Ils entrent dans la salle à manger où ils sont accueillis pas un "Ah ! " de satisfaction. Ils referment la porte sur eux.)

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