ACTE II - Scène VII
LUCETTE, MARCELINE, BOIS-D'ENGHIEN, dans l'armoire.
Marceline (qui a ouvert son carton dont elle a déposé le couvercle devant elle sur la chaise, entre le dossier et la table)
C'est agréable, on me prend pour ta femme de chambre.
Lucette
Eh bien ! il n'est pas écrit sur ta figure que tu es ma sœur !
Marceline
Non, mais tu aimes ça, toi, quand on peut m'humilier !
Lucette
Allons, au lieu de grogner, déballe donc plutôt mes costumes qui se froissent dans ce carton et pends-les dans l'armoire !
Marceline (tout en déballant)
Oh ! toi, tu seras cause que je ferai un coup de tête, un jour !
Lucette
Et qu'est-ce que tu feras ? mon Dieu !
Marceline (gagnant le milieu de la scène avec un costume de théâtre sur le bras)
Je prendrai un amant !
Lucette
Toi !
Marceline
Oh ! mais tu ne me connais pas ! (Elle pétrit nerveusement, et sans faire attention à ce qu'elle fait, le costume qu'elle a sur le bras.)
Lucette (riant)
Oh ! la, la ! un amant, elle ! (Changeant de ton.)
Fais donc attention, tiens, à la façon dont tu portes ces effets… (Passant à droite pendant que Marceline est à l'armoire.)
Ah ! pristi, non, tu n'es pas femme de chambre, parce que si tu étais femme de chambre, tu ne resterais pas longtemps au service des gens…
Marceline (allant à l'armoire)
C'est surtout au tien que je ne resterais pas ! (Tirant vainement le battant de l'armoire.)
Mais qu'est-ce qu'elle a, cette armoire ?… On ne peut pas l'ouvrir !
Lucette (qui, derrière la table, est en train de remettre le couvercle sur le carton)
Elle est peut-être fermée, tourne la clé.
Marceline
C'est ce que je fais : il n'y a pas moyen !
Lucette
Comment, il n'y a pas moyen !… (Allant à l'armoire.)
Ah ! la, la ! même pas capable d'ouvrir une armoire !… Tiens, ôte-toi de là ! (Elle la bouscule pour se mettre à sa place et essaye d'ouvrir.)
C'est vrai que c'est dur !
Marceline
Là, je ne suis pas fâchée !…
Lucette (s'épuisant à tirer)
C'est drôle, on dirait que la résistance vient de l'intérieur ! (À Marceline.)
Essayons à nous deux, bien ensemble.
Lucette et Marceline
Une, deux, trois. Aïe donc !
(La porte cède, Bois-d'Enghien entraîné par l'élan, manque de tomber sur elles.)
(poussant un cri strident)
Ah ! (Elles reculent épouvantées, n'osant regarder.)
Lucette
Un homme !
Marceline
Un cambrioleur !
Bois-d'Enghien (qui a repris son équilibre dans l'armoire, bien calme)
Ah ! tiens ! c'est vous ?
Lucette
Fernand !
Marceline
Bois-d'Enghien !
Lucette (moitié colère, moitié tremblante)
Eh bien ! qu'est-ce que tu fais là, toi ?
Bois-d'Enghien (sortant de l'armoire)
Moi ? eh bien ! tu vois, je… je vous attendais !
Lucette (même jeu)
Dans l'armoire !
Bois-d'Enghien
Hein ! oui, dans… l'armoire… tu sais quelquefois, dans la vie, on a besoin de s'isoler… Et ça va bien depuis tantôt ?
Lucette
Ah ! que c'est bête de vous faire des frayeurs pareilles !
Marceline
Il faut être idiot, vous savez, pour remuer les sangs comme ça !
Bois-d'Enghien (avec un rire forcé pour dissimuler son embarras)
Ah ! ah ! je vous ai fait peur ! Ah ! ah ! Alors j'ai réussi, c'était une plaisanterie !
Lucette
Tu appelles ça une plaisanterie !
Bois-d'Enghien (même jeu)
Oui, je me suis dit : Elle arrive, elle ouvre l'armoire et elle me trouve dedans… C'est ça qui est une bonne farce !
Lucette
Ah ! bien, elle est jolie, la farce !
Marceline
Elle est stupide !
Bois-d'Enghien
Merci ! (À part, descendant à gauche.)
Mon Dieu ! pourvu que les autres n'arrivent pas !