ACTE II - Scène XIV



Les Mêmes, ÉMILE, LE NOTAIRE, puis BOUZIN dans le fond.

Émile
Maître Lentery !

La Baronne (allant à la rencontre du notair)
Ah ! le notaire ! Bonjour, Maître Lentery.

Maître Lentery (descendant un peu et à droite avec la baronne)
Bonjour, Madame la baronne !… Messieurs, Mesdames !
(Le Général, après être remonté, redescend causer avec Chenneviette à gauche de la chaise longue.)

La Baronne
Puisque vous voilà, nous allons pouvoir commencer de suite ! Vous avez le contrat ?

Maître Lentery
Non, mais un de mes clercs l'apporte ! Ah ! justement le voici !
(Bouzin paraît au fond parlant à Émile.)

La Baronne
Parfait !

Bois-d'Enghien (à part, traversant la scène, allant à Lucette)
Sapristi ! Bouzin ici ! (À Lucette.)
Dis donc, Bouzin, là !

Lucette
Bouzin ? Ah ! bien, si le général le voit ! (Elle occupe le général, en tournant le dos au public, de façon à empêcher le général de se retourner.)

La Baronne (qui est remontée à la suite du notaire, qui lui-même est allé retrouver Bouzin dans le second plan)
Mes amis, si vous voulez venir par là, pour la lecture du contrat.

De Fontanet, Viviane, Bois-d'Enghien
Mais parfaitement. (Ils sortent, sauf Bois-d'Enghien qui gagne la droite.)

La Baronne (du fond)
Monsieur de Chenneviette ?

De Chenneviette (qui cause avec le général, à la baronne)
Mais, très honoré, Madame ! (Au général.)
vous permettez, Général ?

Le Général
Yo vous prie, Cheviotte ! (Il continue de causer avec Lucette.)

La Baronne (à Bouzin, dans le second salon)
Eh ! mais, c'est Monsieur que j'ai vu ce matin !

Bouzin (la reconnaissant)
Ah ! Madame la baronne !… Ah ! bien, si je m'attendais !… On est en pays de connaissance, alors !…

La Baronne
Mon Dieu, oui ! (Bouzin, le notaire, Viviane, Fontanet et Chenneviette disparaissent dans la coulisse ; du fond à Lucette.)
Vous ne voulez pas assister, Madame ?…

Bois-d'Enghien (sursautant)
Hein !

Lucette
Mon Dieu, Madame, je vais achever mes petits préparatifs ici ! (Elle va à l'armoire chercher un corsage que Marceline y a précédemment accroché.)

La Baronne
Comme vous voudrez, Madame !…

Bois-d'Enghien (poussant un soupir de soulagement)
Ouf !

La Baronne (au général)
Et vous, Général ?

Le Général (s'inclinant)
Yo vous rends grâce ! yo reste avec mamoisselle Gautier ! (Il descend à l'extrême gauche.)

La Baronne (à part)
Naturellement. (Haut.)
Venez, Bois-d'Enghien !… (Elle sort.)

Bois-d'Enghien (empressé)
Voilà, voilà !…

Lucette (redescendant presqu'à la chaise longue, avec son corsage dont elle défait les lacets)
Ah ! tu ne vas pas y aller, toi ?

Bois-d'Enghien (subitement cloué au sol)
Ah ! tu crois que… ?

Lucette
Mais non ! qu'est-ce que ça te fait, leur contrat ?

Bois-d'Enghien (prenant l'air indifférent)
Oh !

Lucette
Est-ce que ça t'intéresse ?

Bois-d'Enghien (même jeu)
Moi ! Oh ! la, la, la, la !

Le Général (comme un argument sans réplique)
Est-ce qué yo l'y vais, moi ?… Bueno ?…

Bois-d'Enghien
Oh ! vous, parbleu, tiens !… (à part, au public.)
Il me paraît bien difficile, cependant, de ne pas assister à mon contrat !

Lucette (remontant vers l'armoire)
Si tu y tiens absolument, tu iras un peu à la fin…

Bois-d'Enghien (saisissant la balle au bond)
Ah ! oui !

Lucette (s'arrêtant en route)
… Avec moi ! (Elle achève d'aller à l'armoire et raccroche son corsage.)

Bois-d'Enghien (à part.)
Ah ! bien, ça serait le bouquet !

Tous (dans la coulisse)
Bois-d'Enghien ! Bois-d'Enghien !

Bois-d'Enghien (à part)
Allons, bon ! les autres maintenant !… (Haut et agacé.)
Voilà ! voilà !

Lucette (redescendant à la chaise longue)
Mais qu'est-ce qu'ils ont après toi ?

Bois-d'Enghien (affectant de rire)
Je ne sais pas ! je me le demande !
(Tout le monde paraît au fond, à l'exception du notaire.)

La Baronne
Eh bien ! venez donc Bois-d'Enghien ! Qu'est-ce que vous faites ? (Montrant Bouzin qui est allé se placer par habitude de bureaucrate derrière la table de droite.)
Monsieur vous attend pour lire le contrat !

Le Général (apercevant Bouzin et bondissant)
Boussin !

Bouzin
Le Général ici ! sauvons-nous ! (Poursuite autour de la table en va-et-vient, en sens contraire de la part du général et de Bouzin, puis en faisant le tour complet de la table au milieu du tumulte général.)

Le Général (faisant la chasse à Bouzin)
Boussin ici ! Encore Boussin ! Attends, Boussin ! C'est oun homme morte, Boussin ! (Bouzin s'est sauvé par la droite, en faisant tomber au passage la chaise, qui est près de la porte, dans les jambes du général. Le Général l'enjambe.)

La Baronne (dans le tumulte général)
Eh bien ! qu'est-ce qu'il y a ? Où vont-ils ?

Lucette
Ne craignez rien, Madame ! Courez, de Chenneviette… séparez-les.

De Chenneviette
J'y vole !
(Pendant ce dialogue très rapide au milieu du brouhaha général, ce qui en fait presque une pantomime, Bouzin s'est sauvé par la droite en faisant tomber au passage la chaise qui est à droite de la porte, dans les jambes du général. Le Général enjambe la chaise, Bois-d'Enghien, qui s'est précipité, tient le général par une basque de son habit. Chenneviette qui s'est lancé à son tour enlève à bras-le-corps Bois-d'Enghien qui lui obstrue le passage, le rejette derrière lui et se précipite à la poursuite. — Affolement des personnages qui restent. Un instant après, on aperçoit dans le second salon la poursuite qui continue. Bouzin traverse le premier le fond en courant, puis, successivement, le général et Chenneviette.)

La Baronne
Mais en voilà une affaire ! Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ! Qu'est-ce qu'il a après ce garçon ?

Lucette
Excusez-le, Madame, je vous en prie !

La Baronne
Enfin, c'est très désagréable ces histoires chez moi. (Les deux femmes continuent de parler à la fois : Lucette pour excuser le général, la baronne pour manifester son mécontentement. Enfin d'une voix impérative.)
Voyons ! finissons-en ! Nous avons un contrat à lire… Bois-d'Enghien ! donnez le bras à ma fille et venez. (Elle remonte.)

Lucette (prise de soupçon)
Mais… pourquoi M. Bois-d'Enghien ?

La Baronne (sous le coup de l'émotion et sans réfléchir)
Comment, pourquoi ?… Parce que c'est son fiancé !

Lucette
Son fiancé, lui… (Poussant un cri strident.)
Ah ! (Elle s'évanouit.)

Tous
Qu'est-ce qu'il y a ?

Marceline (qui a reçu Lucette dans ses bras)
Ah ! mon Dieu, ma sœur ! du secours ! elle se trouve mal !…
(Tout le monde — à l'exception de la baronne et de Viviane qui, redescendues, restent pétrifiées sur place — entoure Lucette qu'on étend sans connaissance sur la chaise longue.)

Bois-d'Enghien (revenant à la baronne, lui faisant carrément une scène)
Là ! voilà ! ça y est ! Vous avez prononcé le mot de fiancé, voilà !

La Baronne
Moi !

Viviane (faisant aussi une scène à sa mère)
Mais oui, toi !

Bois-d'Enghien
Et on vous prévient ! (Il retourne à Lucette.)

Viviane
Puisqu'on t'avait dit de ne pas parler de fiancé !
(La baronne énervée hausse les épaules.)

Le Général (entrant vivement par le fond gauche, emboîté par Chenneviette)
Voilà ! yo viens de le flanquer par la porte, Boussin !

De Chenneviette (à part, s'épongeant le front)
Oh ! quelle soirée, mon Dieu !

Le Général (apercevant Lucette évanouie)
Dios ! quel il a Lucette ! il est malade ! (Allant à elle.)
Loucette !

Bois-d'Enghien (quittant Lucette et frappant dans ses mains pour presser les gens)
Vite, du vinaigre, des sels !

Marceline
J'y cours ! (Elle sort par la gauche pendant que Bois-d'Enghien, la baronne et Viviane, comme des gens qui ne savent où donner la tête, vont chercher des sels sur la toilette du fond.)

Le Général (tapant dans les mains de Lucette pendant que Chenneviette en fait autant de l'autre côté)
Mademoiselle Gautier ! révénez à moi… révénez à moi !

De Fontanet (qui est derrière la chaise longue, naïvement en se penchant sur la figure de Lucette)
Il faudrait lui faire respirer de l'air pur…

Bois-d'Enghien (revenant avec un flacon de sels)
Oui, eh bien ! alors retirez-vous de là !

De Chenneviette et Le Général
Oui, allez-vous-en ! allez-vous-en !

Bois-d'Enghien (vivement, repassant au milieu de la scène)
C'est ça, allons-nous-en tous ! (À la baronne et à Viviane qui sont un peu remontées.)
Laissons ces messieurs avec elle, nous finirons de signer par là, nous !…

Tous
Oui, oui, c'est ça !

Le Général (d'une voix forte, au moment où Bois-d'Enghien va partir avec les deux femmes)
Oun clé ! qu'il a oun clé ?

Bois-d'Enghien (très affairé, tirant une clé de sa poche, la donne au général et remontant tout en parlant)
Une clé, voilà. Pourquoi ?

Le Général
Gracias ! (Il la met dans le dos de Lucette.)

Bois-d'Enghien (redescendant pour prendre sa clé)
Mais vous êtes fous ! c'est la clé de mon appartement ! elle ne saigne pas du nez !

Le Général (qui a mis la clef dans le dos)
Yo veux voir si ça fait le même !

La Baronne (s'impatientant, à Bois-d'Enghien)
Eh bien ! voyons ! allons par là, nous !

Bois-d'Enghien (cavalcadant sur place comme un homme attiré de deux côté)
Voilà, voilà ! (À part.)
Je signe et je reviens.
(Tout le monde sort, à l'exception De Fontanet, du général, de Chenneviette et de Lucette évanouie. Les portes du fond se referment. Elles ne s'ouvrent plus jusqu'à la fin de l'acte qu'à deux vantaux.)

Autres textes de Georges Feydeau

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...

On va faire la cocotte

La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024