ACTE III - Scène VI
BOIS-D'ENGHIEN, LA NOCE, LE GÉNÉRAL, puis UN MONSIEUR.
La noce descend du dessus. Tout le monde parle à la fois. — Le beau-père : "Dépêchons-nous ! " — La mariée : "Mais nous avons le temps ! " — Le gendre : "La mairie, c'est à onze heures ! " (Etc. , etc.)
Tous (apercevant Bois-d'Enghien)
Oh !
Bois-d'Enghien (essayant de se donner une contenance : galamment à la mariée)
Madame, tous mes vœux de bonheur !
Tous (levant de grands bras)
Quelle horreur !
Le Beau-père
Un homme en caleçon !
Le Gendre
Il faut se plaindre !
La Belle-mère
Il faut avertir le concierge !
Bois-d'Enghien (décrivant un demi-cercle en faisant force courbettes. Il se trouve ainsi avoir gagné la gauche du palier)
Mesdames, Messieurs !
Tous
Voulez-vous vous cacher… ! Quelle horreur !
(Ils descendent tous, scandalisés, en levant de grands bras, ils se croisent avec le général qui apparaît de droite.)
Bois-d'Enghien (désespéré)
Quelle position, mon Dieu ! (Apercevant le général.)
Allons, bon ! le général !
Le Général (ahuri de trouver Bois-d'Enghien dans cette tenue sur le palier)
Bodégué ! en maillotte !
Bois-d'Enghien (à part, exaspéré)
Le Général, à présent !… Il ne manquait plus que lui !
Le Général
Porqué vous l'est en maillotte ?
Bois-d'Enghien (furieux)
"Porqué… ! Porqué… ! " porqué vous voyez bien que je ne peux pas rentrer chez moi !… Ma porte s'est fermée sur mon dos…
Le Général (riant)
Ah ! ah ! il est rissible !
Bois-d'Enghien (même jeu)
Ah ! bien, je ne trouve pas !
Le Général (s'essuyant le front)
Ah ! cet Boussin !… vous savez cet Boussin… yo l'ai couru après.
Bois-d'Enghien (rageur)
Eh bien ! ça m'est égal !… Vous ne l'avez pas attrapé, n'est-ce pas ?
Le Général
Si !… yo loui ai flanqué ma botte… Seulement, il n'était pas Boussin… Yo no sé comme est fait… quand il s'est retourné, il était oun autre !
Bois-d'Enghien
Ah !
Le Général
Oh ! mais yo lo rattraperai, cette Boussin !
Bois-d'Enghien (cassant)
Eh bien !… c'est très bien… mais qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse ?
Le Général
Bueno !… Il n'est pas là la chosse !… yo souis venu qué yo vous parle.
Bois-d'Enghien
Oui. Eh bien ! plus tard… j'ai autre chose à faire que de causer.
Le Général
Porqué ?…
Bois-d'Enghien
"Porqué". Il est étonnant avec ses "porqué" ! Je vous dis que je suis à la porte de chez moi…
Le Général
Bueno… c'est oune pâcatile ! l'on peut causère sur la palière.
Bois-d'Enghien
Mais, sacristi, voyons… (Se penchant par-dessus la rampe en apercevant quelqu'un qui monte.)
Oh ! quelqu'un ! (Il se précipite dans l'escalier et gagne les dessus.)
Le Général
Eh bien ! où l'y va ! où l'y va ? (Montant trois marches et appelant.)
Bodégué ! Bodégué !
Bois-d'Enghien (de l'étage supérieur)
Oui, tout à l'heure ! tout à l'heure !
Le Général
Mais il est fol ! (Un monsieur apparaît sur le palier, salue le général en passant et gagne l'étage supérieur. Le Général rend le salut.)
Buenos dias !… quel il fait là-haut ?… Bodégué !… Bueno Bodégué… Bodégué ! (Appelant avec le cri des ramoneurs.)
Eh ! Boo-dégué !
Bois-d'Enghien (voix) (dans les dessus, avec le même cri)
Eh !
Le Général
Eh ! bienne, vénez !
Bois-d'Enghien (reparaissant)
Eh bien ! voilà, mon Dieu, voilà !
Le Général (redescendant)
Bueno… que vous l'avez, qué vous filez comme oun lapen ?
Bois-d'Enghien (sur le palier)
Je ne peux pourtant pas me montrer dans cette tenue quand il y a des gens qui montent… (Secouant sa porte qui résiste.)
Oh ! cette porte ! vous n'auriez pas un passe-partout sur vous, n'importe quoi, un rossignol ?
Le Général (qui ne comprend pas)
Oun oisseau ?
Bois-d'Enghien (haussant les épaules)
Ah ! "oun oisseau" ! (Revenant à la question.)
Enfin quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?… Qu'est-ce que vous voulez ?
Le Général
Qué yo l'ai ! yo l'ai qué yo vous l'ai disse hier, yo l'étais vénu qué yo vous tue !
Bois-d'Enghien (furieux)
Encore !… Ah ! zut !
Le Général (furieux et avec panache)
Bodégué ! yo souis à vos ordres !
Bois-d'Enghien
Oui ? Eh bien ! allez donc me chercher un pantalon.
Le Général (bondissant)
Oun pantalon, moi ! (Il change de ton.)
Oh ! yo vous prie qué vous né fait pas le squeptique.
Bois-d'Enghien (qui ne comprend pas)
Quoi ?
Le Général
Yo dis : qué vous ne fait pas le squeptique.
Bois-d'Enghien (comprenant)
Ah ? le sceptique. (Haussant les épaules.)
"Le squeptique". Qu'est-ce que ça veut dire le squeptique ? Parlez donc français au moins : s, c, é, ça ne fait pas squé, ça fait cé. On dit : "le sceptique", pas "le squeptique. "
Le Général (sur le même ton)
Bueno, il m'est égal, squeptique, sceptique, c'est le même.
Bois-d'Enghien (furieux)
Oui. Eh bien ! c'est bon !… finissons-en… Vous voulez me tuer ?
Le Général
Non !
Bois-d'Enghien
Comment, non ?
Le Général
Yo l'étais venu pour !… Mais maintenant yo ne vous toue plouss !
Bois-d'Enghien
Ah ? Eh bien ! tant mieux !
Le Général (avec un soupir de résignation)
Non, porqué yo viens de voir Loucette Gautier qu'il est en bas !
Bois-d'Enghien
Ah ?
Le Général
Il m'a dit oun chose… qu'elle m'embête, mais que yo n'ai pas le choix… Il m'a dit : yo no serai la votre que si Bodégué il veut encore être le mienne !
Bois-d'Enghien (reculant)
Hein ?…
Le Général
Voilà !… Il m'est dour, allez ! surtout quand yo pense à la sandale d'hier !
Bois-d'Enghien
La sandale ? Qu'est-ce que c'est que la "sandale".
Le Général
Eh ! la sandale qué vous l'avez fait Loucette et vous chez Madame Duvercher.
Bois-d'Enghien
Ah ! "le scandale", vous voulez dire ! Vous dites la "sandale", s, c, a, ça fait sca, ça ne fait pas sa !
Le Général (le prenant de haut)
Bodigué ! est c'qué tou té foutes de moi ? Tout à l'heure yo l'ai dit "squeptique", vous disse "sceptique" ! bueno. Maintenant yo dis "sandale", vous dis "scandale"… (Menaçant.)
Bodégué !
Bois-d'Enghien (sur le même ton)
Général ?
Le Général
Prenez garde !
Bois-d'Enghien
Et à quoi donc ?
Le Général (se calmant subitement)
Bueno ! yo vous disse maintenant vous allez raccommoder avé Loucette.
Bois-d'Enghien
Moi ? (Se penchant à l'oreille du général comme pour lui faire une confidence, et très haut.)
Jamais de la vie !
Le Général
Non ?… Alors yo revoutoue !
Bois-d'Enghien (descendant à gauche)
Eh bien ! c'est ça, remetuez-moi ! (Revenant au général.)
Mais, sacristi ! il faudrait s'entendre, cependant ! Tout à l'heure, c'était parce que j'étais avec Lucette ; maintenant, c'est parce que je ne suis plus avec elle ! Qu'est-ce que vous voulez, à la fin ?
Le Général
Qué yo veux ?… Tou es bête.
Bois-d'Enghien
Hein ?
Le Général
Yo veux que Loucette il soit à moi.
Bois-d'Enghien
Eh bien ! oui, à toi, mais pas à moi. Eh bien ! il y a un moyen tout trouvé.
Le Général
Vrai ? Ah ! Bodégué, vous l'est oun ami !
Bois-d'Enghien
Tu vas aller… ça t'est égal que je te tutoie.
Le Général
Yo vous prie !
Bois-d'Enghien
Vous allez dire à Lucette que vous m'avez vu et que je refuse tout rapprochement.
Le Général
Porqué ?
Bois-d'Enghien (haussant les épaules, au public)
"Porqué" (Au général.)
Eh bien ! "porqué" à cause de son vice de constitution.
Le Général
Hein ?
Bois-d'Enghien (à l'oreille du général)
Un vice de constitution qui n'est appréciable que dans la plus stricte intimité.
Le Général (à pleine voix)
Il a oun vice dans la constitution, Loucette ?
Bois-d'Enghien
Elle ?… Pas du tout.
Le Général (qui ne comprend pas)
Bueno ?
Bois-d'Enghien
Eh bien ! justement ! Elle est femme !… Elle a encore plus d'amour-propre que d'amour… et quand vous lui aurez dit… Je la connais, la vanité… elle est à vous !…
Le Général (enchanté)
Oh ! yo comprends !… Ah ! Bodégué !… Fernand !… Gracias, gracias !… Muchas gracias !
Bois-d'Enghien
Allez ! allez ! c'est bon !
Le Général
Yo cours !… Adieu ! Fernand ! Adieu ! et una buena santé ! Et pouis, tou sais : yo no to toue plous ! (Il s'en va en courant.)
Bois-d'Enghien
C'est ça ! c'est ça ! Ni moi non plous ! (Il le regarde partir.)