ACTE II - Scène III



Les Mêmes, ÉMILE, puis BOIS-D'ENGHIEN.

Émile (du fond)
M. de Bois-d'Enghien, Madame.

La Baronne
Lui ! Faites-le entrer.

Bois-d'Enghien (très gai, très empressé, un bouquet de fiancé à la main)
Bonjour, belle-maman ! bonjour, ma petite femme !

La Baronne
Bonjour, mon gendre !

Viviane (lui souriant en prenant le bouquet qu'il lui présente)
Toujours des fleurs, alors ?

Bois-d'Enghien
Pour vous, jamais trop ! (À part.)
Et puis ça m'est égal, j'ai un forfait avec mon fleuriste.
(Viviane a déposé le bouquet sur le guéridon.)

La Baronne
Vous n'embrassez pas votre fiancée ?… Aujourd'hui, ça vous est permis !

Bois-d'Enghien
Comment donc ! tout le temps ! tout le temps ! (En l'embrassant, il se pique à une des épingles du corsage de Viviane.)
Oh !

Viviane (moqueuse)
Prenez garde, j'ai des épingles !

Bois-d'Enghien (se suçant le doigt)
Vous ne l'auriez pas dit que je ne m'en serai pas aperçu !

Viviane
Voilà ce que c'est que de mettre les mains…

Bois-d'Enghien
Eh bien ! encore une fois, là… sans les mains !

Viviane
Ouh ! gourmand !
(Il l'embrasse en gardant ses mains derrière le dos.)

La Baronne (qui s'est approchée de Bois-d'Enghien, de façon qu'en se retournant, la figure de celui-ci se trouve portée contre la sienne, — tendant la joue)
Et la belle-maman, alors, on ne l'embrasse pas ?

Bois-d'Enghien (après avoir fait une légère grimace)
Si ! si ! comment donc ! Ah ! bien… (Il l'embrasse ; puis à part, au public.)
Le plat de résistance après le dessert.

La Baronne (joviale)
Et moi, au moins, on peut mettre les mains, je n'ai pas d'épingles !

Bois-d'Enghien
À la bonne heure !

La Baronne
Et maintenant, une bonne nouvelle pour vous, mon gendre… L'église ayant tous ses services retenus pour le jour que nous avons fixé, j'ai décidé d'avancer le mariage de deux jours.

Bois-d'Enghien (ravi)
Ah ! bien, j'en suis bien aise !… Justement mon fleuriste me disait tout à l'heure : "Comme vous faites durer longtemps vos fiançailles"… (À Viviane)
Ah ! bien, je suis bien content !

La Baronne (dans le dos de Bois-d'Enghien)
Vous la rendrez heureuse, n'est-ce pas ?

Bois-d'Enghien (se retournant)
Qui ça ?

La Baronne
Eh bien ! ma fille, voyons ! pas le Grand Turc !

Bois-d'Enghien
C'est juste ! Je fais des réflexions bêtes.

Viviane
Et puis, c'est ce que je disais à maman, avec le divorce, n'est-ce pas ?

Bois-d'Enghien (interloqué)
Ah ! vous avez déjà envisagé… ?

Viviane
Oh ! moi, je trouve ça très chic, d'être divorcée !

Bois-d'Enghien
Ah ?

Viviane
J'aimerais encore mieux ça que d'être veuve !

Bois-d'Enghien
Tiens ! Et moi aussi !

La Baronne (un peu au-dessus de Bois-d'Enghien, lui prenant la main gauche de sa main gauche, l'autre main sur l'épaule de son gendre)
D'ailleurs, ce sont là des extrémités auxquelles vous n'aurez jamais à recourir, Dieu merci ! Fernand est un garçon sérieux, rangé…

Viviane (avec un soupir)
Oh ! oui !…

Bois-d'Enghien
Ça !…

La Baronne (quittant la main de Bois-d'Enghien)
Il a sans doute eu, comme tous les jeunes gens, ses petits péchés de jeunesse…

Bois-d'Enghien (avec aplomb)
Jamais !…

La Baronne (à mi-voix à Bois-d'Enghien, ravie)
Comment ! pas la moindre petite bonne amie !

Bois-d'Enghien
Moi ?… Ah ! bien… mais je ne comprends pas ça ! Souvent je voyais des petits jeunes gens de mon âge courir les demoiselles… ça me passait ! Je leur disais : "Mais enfin, qu'est-ce que vous pouvez bien faire avec ces femmes ?…"

Viviane (avec pitié, à part)
Oh ! la, la, la, la !…

Bois-d'Enghien
Moi, je n'ai jamais aimé qu'une seule femme !…

Viviane et La Baronne (se rapprochant vivement et chacune sur un ton différent ; la première, comme s'il y avait : "Serait-ce possible ! " l'autre comme elle dirait "Je le savais bien ! ")
Ah !

Bois-d'Enghien
C'était ma mère !
(Viviane, qui s'était rapprochée avec une lueur d'espoir, retourne où elle était, avec déception.)

La Baronne (touchée)
C'est bien, ça !

Bois-d'Enghien
Je m'étais toujours dit : "Je veux me réserver tout entier pour celle qui sera mon épouse. "

La Baronne (lui serrant la main et le montrant à sa fille)
Je te dis ! Tu ne sais pas… tu ne sais pas apprécier l'homme que tu épouses !

Bois-d'Enghien
Je ne veux pas qu'on puisse dire de moi, comme de tant d'autres, que j'apporte en ménage les rinçures de ma vie de garçon !

Viviane
Quelles rinçures ? Des rinçures de quoi ?

Bois-d'Enghien (interloqué)
Hein ? De… je ne sais pas ! c'est une expression : on dit comme ça : "Apporter les rinçures de sa vie de garçon ! " Ça ne peut pas se préciser, mais ça fait image !

La Baronne
Oui, oui ! il a raison.

Bois-d'Enghien (à Viviane)
Eh bien ! moi, au moins, en m'épousant, vous pouvez vous dire que c'est moralement comme si vous épousiez… Jeanne d'Arc.

Viviane (le regardant)
Jeanne d'Arc ?

Bois-d'Enghien
Tout sexe à part, bien entendu !

Viviane
Pourquoi Jeanne d'Arc ? Vous avez sauvé la France ?

Bois-d'Enghien
Non ! je n'ai pas eu l'occasion ! Mais tel j'arrive à la fin de ma vie de garçon, et avec l'âme aussi pure… que Jeanne d'Arc à la fin de sa vie d'héroïsme, quand elle comparut au tribunal de cet affreux Cauchon !

La Baronne (sévèrement)
Fernand ! ces expressions dans votre bouche !

Bois-d'Enghien
Eh bien ! comment voulez-vous que je dise ?… Il s'appelle Cauchon, je ne peux pas l'appeler Arthur !…

Viviane (railleuse)
C'est juste !

La Baronne
Fernand, vous êtes une perle…

Viviane
Il est encore au-dessous de ce que je croyais !…

Bois-d'Enghien (à part, passant au 3)
C'est un peu canaille, ce que je fais là… mais ça me fait bien voir !…

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