ACTE I - Scène XIII



Les Mêmes, LUCETTE.

Lucette (à Bouzin)
Je vous demande pardon de vous avoir laissé.

Bouzin (qui est remonté au-dessus de la table)
Mais comment donc ! (À part.)
Je n'en suis pas amoureux du tout.

Lucette (s'asseyant à droite de la table)
Maintenant, nous allons pouvoir causer sans être dérangés.

Bouzin (s'asseyant au-dessus de la table, face au public)
Oui.

Lucette
Eh bien ! voilà ! votre chanson, elle est charmante ! Il n'y a pas deux mots : elle est charmante.

Bouzin
Vous êtes trop aimable ! (À part, en se baissant pour poser son chapeau sous la table.)
Et cet autre qui avait compris qu'elle était stupide ! Faut-il être bête !

Lucette
Mais enfin, vous savez, on a beau dire que le mieux est l'ennemi du bien… votre chanson, je le répète, elle est charmante ; mais, comment dirais-je ?… elle manque un peu de caractère.

Bouzin (protestant)
Oh ! cependant…

Lucette
Non ! non ! il faut bien avoir le courage de vous parler franchement : c'est plein d'esprit, mais ça ne veut rien dire.

Bouzin (interloqué)
Ah !

Lucette (à Bois-d'Enghien, qui, par discrétion, se tient à distance, appuyé à la cheminée)
N'est-ce pas ?

Bois-d'Enghien
Oui, oui ! (Descendant s'asseoir à gauche de la table.)
Et puis, moi, si vous me permettez de donner mon avis, ce que je reproche aussi, c'est la forme.

Lucette
Ah ! bien, oui ! évidemment, la forme est défectueuse ! mais encore, la forme, je passe par-dessus !

Bois-d'Enghien
Et puis enfin, ça… ça manque de traits, c'est un peu gris !

Lucette
Oui, tenez !… ça, c'est un peu vrai ce qu'il dit là ! On sent bien que c'est la chanson d'un homme d'esprit, mais c'est la chanson d'un homme d'esprit…

Bois-d'Enghien
… Qui l'aurait fait écrire par un autre !

Lucette
Voilà !…

Bouzin (hochant la tête)
C'est curieux !… (Un petit temps.)
Enfin, à part ça, vous la trouvez bien ?

Bois-d'Enghien et Lucette
Oh ! très bien !

Lucette
Très bien ! très bien ! (Changement de ton.)
Alors, voici ce que nous avons pensé… Avez-vous votre chanson sur vous ?

Bouzin
Ah ! non, je l'ai déposée chez moi.

Lucette
Oh ! c'est dommage !

Bouzin
Mais, ça ne fait rien ! je demeure rue des Dames… c'est à deux pas, je peux courir… (Il se lève.)

Lucette (se levant)
Ah ! bien, si ça ne vous dérange pas… Au moins nous pourrons travailler utilement.

Bouzin
Mais comment donc ! c'est bien le moins ! Et vous savez, tout ce que vous voudrez ! J'ai le travail très facile !

Bois-d'Enghien
Oui ?

Bouzin
Moi ! mais je vous fais une chanson comme ça, du premier jet.

Bois-d'Enghien (se levant)
Non, vrai ? (À part.)
C'est beau de pouvoir faire aussi mauvais que ça, du premier coup !

Bouzin (passant au n° 3 et se dirigeant vers la porte de sortie)
Je vais et je reviens !

Lucette (qui l'a suivi, lui indiquant son parapluie)
Votre parapluie !

Bouzin
Ah ! c'est juste ! Merci ! (Il prend son parapluie derrière le piano et sort accompagné de Lucette.)

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