ACTE I - Scène IV
Les Mêmes, FIRMIN, NINI GALANT, puis LUCETTE, puis BOIS-D'ENGHIEN.
Firmin
Entrez, Mademoiselle.
Tous
Nini Galant !
Nini (du fond)
Moi-même ! ça va bien tout le monde ? (Elle dépose son en-tout-cas contre le canapé près de la chaise et descend.)
Marceline et Chenneviette
Mais pas mal.
Firmin
Et Mademoiselle sait la nouvelle ?
Nini
Non, quoi donc ?
Tous
Il est revenu !
Nini
Qui ?
Tous
M. de Bois-d'Enghien.
Nini
Non ? Pas possible ?
Lucette (sortant de la chambre et allant serrer la main successivement à Nini et à Chenneviette, elle se trouve placée entre eux deux. Firmin remonte)
Tiens, Nini ! (À Chenneviette.)
Bonjour Gontran… Ah ! mes amis, vous savez la nouvelle ?
Nini
Oui, c'est ce qu'on me dit : ton Fernand est revenu !
Lucette
Oui, hein ! crois-tu ? ma chère !
Nini
Ah ! je suis bien contente pour toi ! Et… il est là ?
Lucette
Mais oui, attends, je vais l'appeler… (Allant à la porte de gauche et appelant.)
Fernand, c'est Nini… Quoi ?… Oh ! bien ! c'est bon ! viens comme ça, on te connaît ! (Aux autres.)
Le voici ! (Tout le monde se range en ligne de façon à former la haie à l'entrée de Bois-d'Enghien.)
(Bois-d'Enghien paraît, enveloppé dans un grand peignoir rayé, serré par une cordelière à la taille. Il tient à la main une brosse avec laquelle il achève de se coiffer. Il passe au-dessus de la table et gagne le centre entre Firmin et Lucette.)
Tous
Ah ! hip ! hip ! hip ! hurrah !
Bois-d'Enghien (saluant)
Ah ! Mesdames… Messieurs…
(On redescend.)
(Tout ce qui suit doit être dit très rapidement, presque l'un sur l'autre, jusqu'à "Enfin il est revenu ! " )
Nini
Le revoilà donc, l'amant prodigue !
Bois-d'Enghien
Hein !… oui, je…
Marceline
Le vilain, qui voulait se faire désirer !
Bois-d'Enghien (protestant)
Oh ! pouvez-vous croire… ?
De Chenneviette
Oh ! bien, je suis bien content de vous revoir !
Bois-d'Enghien
Vous êtes bien aimable !
Firmin
On peut dire que madame s'est fait des cheveux pendant l'absence de Monsieur.
Bois-d'Enghien (serrant la main à tous)
Ah ! vraiment, elle… ?
Tous
Enfin, il est revenu !
Bois-d'Enghien (souriant)
Il est revenu, mon Dieu, oui ; il est revenu… (À part, gagnant la gauche en se passant piteusement la brosse dans les cheveux.)
Allons, ça va bien ! ça va très bien ! Moi qui étais venu pour rompre !… ça va très bien. (Il s'assied à droite de la table.)
(Firmin sort, Marceline est remontée, Lucette s'est assise sur le canapé, à côté et à droite de Nini. Chenneviette est debout derrière le canapé.)
Lucette (à Nini)
Et tu viens déjeuner, n'est-ce pas ?
Nini
Non, mon petit… je suis justement venue pour te prévenir ! Je ne peux pas !
Lucette
Tu ne peux pas ?
Marceline (pressée de déjeuner)
Ah ! bien, je vais dire à Firmin qu'il enlève votre couvert !
Lucette
Et qu'il mette les œufs.
Marceline
Oh ! oui !… oh ! oui… les œufs !… (Elle sort par le fond.)
Lucette
Et pourquoi ne peux-tu pas ?
Nini
Parce que j'ai d'un à faire… Au fait, il faut que je t'annonce la grande nouvelle ; car moi aussi j'ai ma grande nouvelle : je me marie, ma chère !
Lucette et De Chenneviette
Toi ?
Bois-d'Enghien
Vous ? (À part.)
Elle aussi ?
Nini
Moi-même, tout comme une héritière du Marais.
Lucette
Mes compliments.
De Chenneviette (qui a gagné le milieu de la scène, au-dessus du canapé)
Et quel est le… brave ?
Nini
Mon amant, tiens !
De Chenneviette (moqueur)
Il est ton amant et il t'épouse ! mais qu'est-ce qu'il cherche donc ?
Nini
Comment, "ce qu'il cherche" ! Je vous trouve impertinent !
Lucette
Pardon, quel amant, donc ?
Nini
Mais je n'en ai pas plusieurs… de sérieux s'entend. Le seul, l'unique ! le duc de la Courtille ! je deviens duchesse de la Courtille !
Lucette
Rien que ça !
De Chenneviette
C'est superbe !
Lucette
Ah ! bien ! je suis bien heureuse pour toi !
Bois-d'Enghien (qui pendant ce qui précède parcourt le Figaro qu'il a près de lui sur la table, bondissant tout à coup et à part)
Sapristi ! mon mariage qui est annoncé dans le Figaro ! (Il froisse le journal, le met en boule et le fourre contre sa poitrine par l'entre-baîllement de son peignoir.)
Lucette (qui a vu le jeu de scène ainsi que tout le monde, courant à lui)
Eh bien ! qu'est-ce qui te prend ?
Bois-d'Enghien
Rien ! rien ! c'est nerveux !
Lucette
Mon pauvre Fernand, tu ne vas pas encore être malade !
Bois-d'Enghien
Non ! non ! (À part, pendant que Lucette rassurée retourne à la place qu'elle vient de quitter et raconte à mi-voix à Nini que Bois-d'Enghien a été malade.)
Merci ! lui flanquer comme ça mon mariage dans l'estomac, sans l'avoir préparée.
De Chenneviette
Ah ! à propos de journal, tu as vu l'aimable article que l'on a fait sur toi dans le Figaro de ce matin.
Lucette
Non.
De Chenneviette
Oh ! excellent ! Justement j'ai pensé à te l'apporter ! (Il tire de sa poche un Figaro, qu'il déploie tout grand.)
Bois-d'Enghien (anxieux)
Hein !
De Chenneviette
Tiens, si tu veux le lire.
Bois-d'Enghien (se précipitant sur le journal et l'arrachant des mains de Chenneviette)
Non, pas maintenant, pas maintenant ! (Il fait subir au journal le même sort qu'au premier.)
Tous
Comment ?
Bois-d'Enghien
Non, on va déjeuner ; maintenant, ce n'est pas le moment de lire les journaux.
De Chenneviette
Mais qu'est-ce qu'il a ?