ACTE V - Scène VII



(Les Précédents, Suzanne, Bégearss.)

Suzanne (accourant )
Monsieur Bégeaaaaaaars ! (Elle se range près de La Comtesse. Bégearss montre une grande surprise.)

Figaro ( s'écrie en le voyant )
Monsieur Bégearss ! (Humblement.)
Eh bien ! ce n'est qu'une humiliation de plus. Puisque vous attachez à l'aveu de mes torts le pardon que je sollicite, j'espère que Monsieur ne sera pas moins généreux.

Bégearss (étonné )
Qu'y a-t-il donc ? Je vous trouve assemblés !

Le Comte (, brusquement )
Pour chasser un sujet indigne.

Bégearss (plus surpris encore, voyant le notaire )
Et Monsieur Fal ?

M. Fal (, lui montrant le contrat )
Voyez qu'on ne perd point de temps, tout ici concourt avec vous.

Bégearss (surpris )
Ha ! ha !…

Le Comte (, impatient, à Figaro )
Pressez-vous ; ceci me fatigue. (Pendant cette scène, Bégearss les examine l'un après l'autre, avec la plus grande attention.)

Figaro (l'air suppliant, adressant la parole au Comte )
Puisque la feinte est inutile, achevons mes tristes aveux. Oui, pour nuire à Monsieur Bégearss, je répète, avec confusion, que je me suis mis à l'épier, le suivre, et le troubler partout : (Au Comte.)
car Monsieur n'avait pas sonné lorsque je suis entré chez lui, pour savoir ce qu'on y faisait du coffre aux brillants de Madame, que j'ai trouvé là tout ouvert.

Bégearss
Certes ! ouvert à mon grand regret !

Le Comte (fait un mouvement inquiétant. A part )
Quelle audace !

Figaro (se courbant, le tire par l'habit pour l'avertir )
Ah ! mon maître !

M. Fal (, effrayé )
Monsieur !

Bégearss (au Comte, à part )
Modérez-vous ; ou nous ne saurons rien. (Le Comte frappe du pied ; Bégearss l'examine.)

Figaro (soupirant, dit au Comte )
C'est ainsi que sachant Madame enfermée avec lui pour brûler de certains papiers dont je connaissais l'importance, je vous ai fait venir subitement.

Bégearss ( au Comte )
Vous l'ai-je dit ? (Le Comte mord son mouchoir de fureur)
.

Suzanne (bas à Figaro, par derrière )
Achève, achève !

Figaro
Enfin, vous voyant tous d'accord, j'avoue que j'ai fait l'impossible pour provoquer entre Madame et vous la vive explication… qui n'a pas eu la fin que j'espérais…

Le Comte (, à Figaro, avec colère )
Finissez-vous ce plaidoyer ?

Figaro (bien humble )
Hélas ! je n'ai plus rien à dire, puisque c'est cette explication qui a fait chercher Monsieur Fal pour finir ici le contrat. L'heureuse étoile de Monsieur a triomphé de tous mes artifices… Mon maître ! en faveur de trente ans…

Le Comte (, avec humeur )
Ce n'est pas à moi de juger. (Il marche vite.)

Figaro
Monsieur Bégearss !

Bégearss (qui a repris sa sécurité, dit ironiquement )
Qui ! moi ? cher ami, je ne comptais guère vous avoir tant d'obligations ! (Elevant son ton.)
Voir mon bonheur accéléré par le coupable effort destiné à me le ravir ! (A Léon et Florestine.)
O jeunes gens ! quelle leçon ! marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tôt ou tard l'intrigue est la perte de son auteur.

Figaro (prosterné )
Ah ! oui !

Bégearss (au Comte )
Monsieur, pour cette fois encore, et qu'il parte !

Le Comte (, à Bégearss, durement )
C'est là votre arrêt ?… j'y souscris.

Figaro (ardemment )
Monsieur Bégearss ! je vous le dois. Mais je vois Monsieur Fal pressé d'achever un contrat…

Le Comte (, brusquement )
Les articles m'en sont connus.

M. Fal
Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que Monsieur fait… (Cherchant l'endroit.)
Hon… hon… hon… Messire James-Honoré Bégearss… Ah ! (Il lit.)
"et pour donner à la Demoiselle future épouse une preuve non équivoque de son attachement pour elle, ledit Seigneur futur époux lui fait donation entière de tous les grands biens qu'il possède ; consistant aujourd'hui (Il appuie en lisant.) (ainsi qu'il le déclare et les a exhibés à nous notaires soussignés)
, en trois millions d'or ici joints, en très bons effets au porteur." (Il tend la main en lisant.)

Bégearss
Les voilà dans ce portefeuille. (Il donne le portefeuille à Fal.)
Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en ôter pour fournir aux apprêts des noces.

Figaro (montrant le Comte, et vivement )
Monsieur a décidé qu'il payerait tout ; j'ai l'ordre.

Bégearss ( tirant les effets de sa poche et les remettant au notaire )
En ce cas, enregistrez-les ; que la donation soit entière ! (Figaro, retourné, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets.)

M. Fal (, montrant Figaro )
Monsieur va tout additionner, pendant que nous achèverons. (Il donne le portefeuille ouvert à Figaro, qui voyant les effets, dit :)

Figaro (l'air exalté )
Et moi j'éprouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action, qu'il porte aussi sa récompense.

Bégearss
En quoi ?

Figaro
J'ai le bonheur de m'assurer qu'il est ici plus d'un généreux homme. Oh ! que le Ciel comble les vœux de deux amis aussi parfaits ! Nous n'avons nul besoin d'écrire. (Au Comte.)
Ce sont vos effets au porteur : oui, Monsieur, je les reconnais. Entre Monsieur Bégearss et vous, c'est un combat de générosité : l'un donne ses biens à l'époux ; l'autre les rend à sa future ! (Aux jeunes gens.)
Monsieur, Mademoiselle ! Ah ! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir !… Mais que dis-je ? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante ? (Tout le monde garde le silence.)

Bégearss (un peu surpris, se remet, prend son parti, et dit )
Elle ne peut l'être pour personne, si mon ami ne la désavoue pas ; s'il met mon âme à l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n'a pas un bon cœur, que la gratitude fatigue ; et cet aveu manquait à ma satisfaction. (Montrant le Comte.)
Je lui dois bonheur et fortune ; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille ; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre à ses pieds moi-même, en signant notre heureux contrat. (Il veut le reprendre.)

Figaro (sautant de joie )
Messieurs, vous l'avez entendu ? Vous témoignerez s'il le faut. Mon maître, voilà vos effets ; donnez-les à leur détenteur, si votre cœur l'en juge digne. (Il lui remet le portefeuille.)

Le Comte (, se levant, à Bégearss )
Grand Dieu ! les lui donner ! Homme cruel, sortez de ma maison ; l'enfer n'est pas aussi profond que vous ! Grâce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée : sortez à l'instant de chez moi.

Bégearss
O mon ami, vous êtes encore trompé !

Le Comte (, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte )
Et cette lettre, monstre ! m'abuse-t-elle aussi ?

Bégearss (la voit ; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est )
Ah !… Je suis joué ! mais j'en aurai raison.

Léon
Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur.

Bégearss (furieux )
Jeune insensé ! c'est toi qui vas payer pour tous ; je t'appelle au combat.

Léon (, vite.)
J'y cours.

Le Comte (, vite.)
Léon !

La Comtesse (, vite.)
Mon fils !

Florestine (, vite.)
Mon frère !

Le Comte
Léon ! je vous défends… (A Bégearss.)
Vous vous êtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez. Ce n'est point par cette voie-là qu'un homme comme vous doit terminer sa vie.
(Bégearss fait un geste affreux, sans parler.)

Figaro (arrêtant Léon, vivement.)
Non, jeune homme ! vous n'irez point
monsieur votre père a raison, et l'opinion est réformée sur cette horrible frénésie ; on ne combattra plus ici que les ennemis de l'État. Laissez-le en proie à sa fureur ; et s'il ose vous attaquer, défendez-vous comme d'un assassin ; personne ne trouve mauvais qu'on tue une bête enragée ; mais il se gardera de l'oser : l'homme capable de tant d'horreurs doit être aussi lâche que vil.

Bégearss (hors de lui.)
Malheureux !

Le Comte (, frappant du pied.)
Nous laissez-vous enfin ? c'est un supplice de vous voir.
(La Comtesse est effrayée sur son siège ; Florestine et Suzanne la soutiennent ; Léon se réunit à elles.)

Bégearss (les dents serrées.)
Oui, morbleu ! je vous laisse ; mais j'ai la preuve en main de votre infâme trahison ! Vous n'avez demandé l'agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d'Espagne, que pour être à portée de troubler sans péril l'autre côté des Pyrénées.

Le Comte
O monstre ! que dit-il ?

Bégearss
Ce que je vais dénoncer à Madrid. N'y eût-il que le buste en grand d'un Washington dans votre cabinet, j'y fais confisquer tous vos biens.

Figaro ( criant.)
Certainement
le tiers au dénonciateur !

Bégearss
Mais, pour que vous n'échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrêter dans ses mains l'agrément de Sa Majesté, que l'on attend par ce courrier.

Figaro (tirant un paquet de sa poche, s'écrie vivement )
L'agrément du roi ? le voici ; j'avais prévu le coup ; je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrétariat d'ambassade. Le courrier d'Espagne arrivait !
(Le Comte, avec vivacité, prend le paquet.)

Bégearss (furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne.)
Adieu, famille abandonnée ! maison sans mœurs et sans honneur ! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frère avec sa sœur ; mais l'univers saura votre infamie.
(Il sort.)
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