ACTE III - Scène IX
(Le Comte, Bégearss.)
Le Comte (, la regardant aller )
Je ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre ; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant ! Moi qui lui sers de mère, dit-elle… Non, ce n'est point une méchante femme ! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose… un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-même, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers.
Bégearss
Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets ? de si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur ; je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout, Monsieur, que vous importaient ces papiers ? n'aviez-vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder ? Ah ! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plus tôt ! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans réplique !
Le Comte (, avec douleur )
Oui, sans réplique ! (Avec ardeur.)
Otons-les de mon sein : elles me brûlent la poitrine. (Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche.)
Bégearss (continue avec douceur )
Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi ! car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras !
Le Comte (reprend sa fureur )
Lui dans mes bras ? jamais.
Bégearss
Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine ; et cependant, tant qu'il reste près d'elle, puis-je m'unir à cette enfant, qui, peut-être éprise elle-même, ne cédera qu'à son respect pour vous ? La délicatesse blessée…
Le Comte
Mon ami, je t'entends ! et ta réflexion me décide à le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux, quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards : mais comment entamer ce sujet avec elle ? voudra-t-elle s'en séparer ? il faudra donc faire un éclat ?
Bégearss
Un éclat !… non… mais le divorce, accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen.
Le Comte
Moi, publier ma honte ! quelques lâches l'ont fait ! c'est le dernier degré de l'avilissement du siècle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent !
Bégearss
J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s'agit d'un fils…
Le Comte
Dites d'un étranger, dont je vais hâter le départ.
Bégearss
N'oubliez pas cet insolent valet.
Le Comte
J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire ; retire, avec mon reçu que voilà, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat, qu'il nous faut brusquer aujourd'hui… car te voilà bien possesseur… (Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent.)
et ce soir à minuit, sans bruit, dans la chapelle de Madame… (On n'entend pas le reste.)