ACTE IV - Scène XVIII



(Les Précédents, Figaro.)

Figaro ( accourant )
Elle a repris sa connaissance ?

Suzanne
Ah, Dieu ! j'étouffe aussi. (Elle se desserre.)

Le Comte ( crie )
Figaro ! vos secours !

Figaro (étouffé )
Un moment, calmez-vous. Son état n'est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu ! je suis rentré bien à propos !… Elle m'avait fort effrayé ! Allons, Madame, du courage !

La Comtesse (, priant, renversée )
Dieu de bonté ! fais que je meure !

Léon (, en l'asseyant mieux )
Non, Maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur ! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens ; je n'y avais nul droit : hélas ! je l'ignorais. Mais, par pitié, n'écrasez point d'un déshonneur public cette infortunée qui fut vôtre… Une erreur expiée par vingt années de larmes est-elle encore un crime, alors qu'on fait justice ? Ma mère et moi, nous nous bannissons de chez vous.

Le Comte (, exalté )
Jamais ! Vous n'en sortirez point.

Léon
Un couvent sera sa retraite ; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zélé citoyen. (Suzanne pleure dans un coin ; Figaro est absorbé dans l'autre.)

La Comtesse (, péniblement )
Léon ! mon cher enfant ! ton courage me rend la vie ! Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mère. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'épousa sans biens ; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence ; et toi, tu serviras l'État.

Le Comte (, avec désespoir )
Non, Rosine ! jamais. C'est moi qui suis le vrai coupable ! de combien de vertus je privais ma triste vieillesse !…

La Comtesse
Vous en serez enveloppé. — Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chéri de votre cœur !…

Le Comte (, étonné )
Comment ?… d'où savez-vous ?… qui vous l'a dit ?…

La Comtesse
Monsieur, donnez-lui tous vos biens, mon fils et moi n'y mettons point d'obstacle ; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j'obtienne au moins une grâce ! Apprenez-moi comment vous êtes possesseur d'une terrible lettre que je croyais brûlée avec les autres ? Quelqu'un m'a-t-il trahie ?

Figaro ( s'écriant )
Oui ! l'infâme Bégearss : je l'ai surpris tantôt qui la remettait à Monsieur.

Le Comte (, parlant vite )
Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, examinions votre écrin, sans nous douter qu'il eût un double fond. Dans le débat et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, à son très grand étonnement. Il a cru le coffre brisé !

Figaro ( criant plus fort )
Son étonnement d'un secret ? Monstre ! C'est lui qui l'a fait faire !

Le Comte
Est-il possible ?

La Comtesse
Il est trop vrai !

Le Comte
Des papiers frappent nos regards ; il en ignorait l'existence, et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir.

Suzanne (s'écriant )
Il les a lus cent fois avec Madame !

Le Comte
Est-il vrai ? Les connaissait-il ?

La Comtesse
Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armée, lorsqu'un infortuné mourut.

Le Comte
Cet ami sûr, instruit de tout ?

Figaro La Comtesse, Suzanne (, ensemble, criant )
C'est lui !

Le Comte
O scélératesse infernale ! Avec quel art il m'avait engagé ! A présent je sais tout.

Figaro
Vous le croyez !

Le Comte
Je connais son affreux projet. Mais, pour en être plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine ?

La Comtesse (, vite )
Lui seul m'en a fait confidence.

Léon (, vite )
Il me l'a dit sous le secret.

Suzanne (vite )
Il me l'a dit aussi.

Le Comte (, avec horreur )
O monstre ! Et moi j'allais la lui donner ! mettre ma fortune en ses mains !

Figaro ( vivement )
Plus d'un tiers y serait déjà, si je n'avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dépôt chez monsieur Fal : vous alliez l'en rendre le maître, heureusement je m'en suis douté. Je vous ai donné son reçu…

Le Comte (, vivement )
Le scélérat vient de me l'enlever, pour en aller toucher la somme.

Figaro (désolé )
O proscription sur moi ! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu ! Je cours chez Monsieur Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard !

Le Comte (, à Figaro )
Le traître n'y peut être encore.

Figaro
S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. (Il veut sortir.)

Le Comte (, vivement, l'arrête )
Mais, Figaro ! que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire reste enseveli dans ton sein !

Figaro (avec une grande sensibilité )
Mon maître ! Il y a vingt ans qu'il est dans ce sein-là, et dix que je travaille à empêcher qu'un monstre n'en abuse ! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti.

Le Comte (, vivement )
Penserait-il se disculper ?

Figaro
Il fera tout pour le tenter ; (Il tire une lettre de sa poche.)
mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre ; le secret de l'enfer est là. Vous me saurez bon gré d'avoir tout fait pour me la procurer. (Il lui remet la lettre de Bégearss.)
Suzanne ! des gouttes à ta maîtresse. Tu sais comment je les prépare. (Il lui donne un flacon.)
Passez-la sur sa chaise longue ; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas ; elle s'éteindrait dans nos mains ! Le Comte, exalté : Recommencer ! Je me ferais horreur !

Figaro (à la Comtesse )
Vous l'entendez, Madame ? le voilà dans son caractère ! Et c'est mon maître que j'entends. Ah ! je l'ai toujours dit de lui : la colère, chez les bons cœurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner ! (Il s'enfuit.)
(Le Comte et Léon la prennent sous les bras ; ils sortent tous.)
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