(Le Comte, Bégearss, Figaro.)
Le Comte (, à Bégearss, à part )
Mon ami, finissons ce que nous avons commencé. (A Figaro.)
Vous, monsieur l'étourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d'or que vous m'avez vous-même apportés de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargé de les numéroter.
Figaro
Je l'ai fait.
Le Comte
Remettez-m'en le portefeuille.
Figaro
De quoi ? de ces trois millions d'or ?
Le Comte
Sans doute. Eh bien ! qui vous arrête ?
Figaro (humblement )
Moi, monsieur ?… Je ne les ai plus.
Bégearss
Comment, vous ne les avez plus ?
Figaro (fièrement )
Non, Monsieur.
Bégearss (vivement )
Qu'en avez-vous fait ?
Figaro
Lorsque mon maître m'interroge, je lui dois compte de mes actions ; mais à vous ? je ne vous dois rien.
Le Comte (, en colère )
Insolent ! qu'en avez-vous fait ?
Figaro (froidement )
Je les ai portés en dépôt chez Monsieur Fal, votre notaire.
Bégearss
Mais de l'avis de qui ?
Figaro ( fièrement )
Du mien ; et j'avoue que j'en suis toujours.
Bégearss
Je vais gager qu'il n'en est rien.
Figaro
Comme j'ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure.
Bégearss
Ou s'il les a reçus, c'est pour agioter. Ces gens-là partagent ensemble.
Figaro
Vous pourriez un peu mieux parler d'un homme qui vous a obligé.
Bégearss
Je ne lui dois rien.
Figaro
Je le crois ; quand on a hérité de quarante mille doublons de huit…
Le Comte (, se fâchant )
Avez-vous donc quelque remarque à nous faire aussi là-dessus ?
Figaro
Qui, moi, Monsieur ? J'en doute d'autant moins, que j'ai beaucoup connu le parent dont Monsieur hérite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans mœurs, sans caractère, et n'ayant rien à lui, pas même les vices qui l'ont tué ; qu'un combat des plus malheureux… (Le Comte frappe du pied.)
Bégearss (en colère )
Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez déposé cet or ?
Figaro
Ma foi, Monsieur, c'est pour n'en être plus chargé : ne pouvait-on pas le voler ? que sait-on ? il s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons !
Bégearss (en colère )
Pourtant, Monsieur veut qu'on le rende.
Figaro
Monsieur peut l'envoyer chercher.
Bégearss
Mais ce notaire s'en dessaisira-t-il s'il ne voit son récépissé ?
Figaro
Je vais le remettre à Monsieur ; et quand j'aurai fait mon devoir, s'il en arrive quelque mal il ne pourra s'en prendre à moi.
Le Comte
Je l'attends dans mon cabinet.
Figaro (au Comte )
Je vous préviens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu ; je le lui ai recommandé. (Il sort.)
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