ACTE II - Scène première


Le Comte
Puisque enfin je suis seul, lisons cet étonnant écrit, qu'un hasard presque inconcevable a fait tomber entre mes mains. (Il tire de son sein la lettre de l'écrin, et la lit en pesant sur tous les mots.)
"Malheureux insensé ! notre sort est rempli. La surprise nocturne que vous avez osé me faire, dans un château où vous fûtes élevé, dont vous connaissiez les détours ; la violence qui s'en est suivie ; enfin votre crime, — le mien… (Il s'arrête.)
le mien reçoit sa juste punition. Aujourd'hui, jour de Saint-Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir. Grâce à de tristes précautions, l'honneur est sauf ; mais la vertu n'est plus. Condamnée désormais à des larmes intarissables, je sens qu'elles n'effaceront point un crime… dont l'effet reste subsistant. Ne me voyez jamais : c'est l'ordre irrévocable de la misérable Rosine… qui n'ose plus signer un autre nom." (Il porte ses mains avec la lettre à son front, et se promène.)
…Qui n'ose plus signer un autre nom !… Ah ! Rosine ! où est le temps… ? Mais tu t'es avilie !… (Il s'agite.)
Ce n'est point là l'écrit d'une méchante femme ! Un misérable corrupteur… Mais voyons la réponse écrite sur la même lettre. (Il lit.)
"Puisque je ne dois plus vous voir, la vie m'est odieuse, et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d'un fort, où je ne suis point commandé.
"Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j'ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai. L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr. Il a vu tout mon désespoir. Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à l'héritier… d'un autre plus heureux !… puis-je espérer que le nom de Léon vous rappellera quelquefois le souvenir du malheureux… qui expire en vous adorant, et signe pour la dernière fois, Chérubin Léon, d'Astorga ? "
…Puis, en caractères sanglants : "Blessé à mort, je rouvre cette lettre, et vous écris avec mon sang ce douloureux, cet éternel adieu. Souvenez-vous…"
Le reste est effacé par des larmes… (Il s'agite.)
Ce n'est point là non plus l'écrit d'un méchant homme ! Un malheureux égarement… (Il s'assied et reste absorbé.)
Je me sens déchiré ! Scène II : Bégearss, Le Comte. Bégearss, en entrant, s'arrête, le regarde et se mord le doigt avec mystère.

Le Comte
Ah ! mon cher ami, venez donc !… vous me voyez dans un accablement…

Bégearss
Très effrayant, Monsieur ; je n'osais avancer.

Le Comte
Je viens de lire cet écrit. Non ! ce n'étaient point là des ingrats ni des monstres ; mais de malheureux insensés, comme ils se le disent eux-mêmes…

Bégearss
Je l'ai présumé comme vous.

Le Comte (se lève et se promène )
Les misérables femmes, en se laissant séduire, ne savent guère les maux qu'elles apprêtent !… Elles vont, elles vont… les affronts s'accumulent… et le monde injuste et léger accuse un père qui se tait, qui dévore en secret ses peines !… On le taxe de dureté, pour les sentiments qu'il refuse au fruit d'un coupable adultère !… Nos désordres, à nous, ne leur enlèvent presque rien ; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d'être mères, ce bien inestimable de la maternité ! tandis que leur moindre caprice, un goût, une étourderie légère, détruit dans l'homme le bonheur… le bonheur de toute sa vie, la sécurité d'être père. — Ah ! ce n'est point légèrement qu'on a donné tant d'importance à la fidélité des femmes ! Le bien, le mal de la société, sont attachés à leur conduite ; le paradis ou l'enfer des familles dépend à tout jamais de l'opinion qu'elles ont donnée d'elles.

Bégearss
Calmez-vous ; voici votre fille.
ACTE PREMIER - Scène I ACTE PREMIER - Scène II ACTE PREMIER - Scène III ACTE PREMIER - Scène IV ACTE PREMIER - Scène V ACTE PREMIER - Scène VI ACTE PREMIER - Scène VIII ACTE PREMIER - Scène IX ACTE PREMIER - Scène X ACTE PREMIER - Scène XI ACTE PREMIER - Scène XII ACTE II - Scène première ACTE II - Scène III ACTE II - Scène IV ACTE II - Scène V ACTE II - Scène VI ACTE II - Scène VII ACTE II - Scène VIII ACTE II - Scène IX ACTE II - Scène X ACTE II - Scène XI ACTE II - Scène XII ACTE II - Scène XIII ACTE II - Scène XIV ACTE II - Scène XV ACTE II - Scène XVI ACTE II - Scène XVII ACTE II - Scène XVIII ACTE II - Scène XIX ACTE II - Scène XX ACTE II - Scène XXI ACTE II - Scène XXII ACTE II - Scène XXIII ACTE II - Scène XXIV ACTE III - Scène première ACTE III - Scène II ACTE III - Scène III ACTE III - Scène IV ACTE III - Scène V ACTE III - Scène VI ACTE III - Scène VII ACTE III - Scène VIII ACTE III - Scène IX ACTE IV - Scène première ACTE IV - Scène II ACTE IV - Scène III ACTE IV - Scène IV ACTE IV - Scène V ACTE IV - Scène VI ACTE IV - Scène VII ACTE IV - Scène VIII ACTE IV - Scène IX ACTE IV - Scène X ACTE IV - Scène XI ACTE IV - Scène XII ACTE IV - Scène XIII ACTE IV - Scène XIV ACTE IV - Scène XV ACTE IV - Scène XVI ACTE IV - Scène XVII ACTE IV - Scène XVIII ACTE V - Scène première ACTE V - Scène II ACTE V - Scène III ACTE V - Scène IV ACTE V - Scène V ACTE V - Scène VI ACTE V - Scène VII ACTE V - Scène VIII et dernière

Autres textes de Beaumarchais

Le Mariage de Figaro

"Le Mariage de Figaro" est une pièce de théâtre comique en cinq actes écrite par le célèbre dramaturge français Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Créée en 1784, cette œuvre est la...

Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile

"Le Barbier de Séville" est l'une des pièces de théâtre les plus célèbres écrites par le dramaturge français Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Créée en 1775, elle a connu un succès...

Eugénie

(le baron HARTLEY, madame MURER, EUGÉNIE, BETSY.)(Le théâtre représente un salon à la française, du meilleur goût. Aux deux côtés du fond, on voit deux portes : celle à droite...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024