ACTE PREMIER - Scène IV



(BÉGEARSS, SUZANNE.)

Bégearss
Mon enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement ?

Suzanne
Il m'est venu chercher querelle ; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti ; la dispute s'est échauffée ; elle a fini par un soufflet… Voilà le premier de sa vie ; mais moi, je veux me séparer. Vous l'avez vu…

Bégearss
Laissons cela. — Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi ; mais ce débat l'a dissipé.

Suzanne
Sont-ce là vos consolations ?

Bégearss
Va ! c'est moi qui t'en vengerai ! il est bien temps que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Suzanne ! Pour commencer, apprends un grand secret… Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée ? (Suzanne y va voir. Il dit à part.)
Ah ! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fond que j'ai fait faire à la comtesse, où sont ces importantes lettres…

Suzanne (revient.)
Eh bien ! ce grand secret ?

Bégearss
Sers ton ami ; ton sort devient superbe. — J'épouse Florestine ; c'est un point arrêté
son père le veut absolument.

Suzanne
Qui, son père ?

Bégearss (en riant.)
Eh d'où sors-tu donc ? Règle certaine, mon enfant, lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un, comme pupille ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. (D'un ton sérieux.)
Bref, je puis l'épouser… si tu me la rends favorable.

Suzanne
Oh ! mais Léon en est très-amoureux.

Bégearss
Leur fils ? (Froidement.)
Je l'en détacherai.

Suzanne (étonnée.)
Ha !… Elle aussi, elle est fort éprise !

Bégearss
De lui ?…

Suzanne
Oui.

Bégearss (froidement.)
Je l'en guérirai.

Suzanne (plus surprise.)
Ha ! ha !… Madame, qui le sait, donne les mains à leur union.

Bégearss
Nous la ferons changer d'avis.

Suzanne (stupéfaite.)
Aussi ?… Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme.

Bégearss
C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée ?

Suzanne
S'il ne lui arrive aucun mal…

Bégearss
Fi donc ! la seule idée flétrit l'austère probité. Mieux instruits sur leurs intérêts, ce sont eux-mêmes qui changeront d'avis.

Suzanne (incrédule.)
Si vous faites cela, monsieur…

Bégearss (appuyant.)
Je le ferai. — Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. (L'air caressant.)
Je n'ai jamais vraiment aimé que toi.

Suzanne (, incrédule.)
Ah ! si Madame avait voulu…

Bégearss
Je l'aurais consolée sans doute ; mais elle a dédaigné mes vœux !… Suivant le plan que le comte a formé, la comtesse va au couvent.

Suzanne (vivement.)
Je ne me prête à rien contre elle.

Bégearss
Que diable ! il la sert dans ses goûts ! Je t'entends toujours dire
Ah ! C'est un ange sur la terre !

Suzanne (en colère.)
Eh bien ! faut-il la tourmenter ?

Bégearss ( riant.)
Non ; mais du moins la rapprocher de ce ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée !… Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi…

Suzanne (vivement.)
Le comte veut s'en séparer ?

Bégearss
S'il peut.

Suzanne (en colère.)
Ah ! les scélérats d'hommes ! quand on les étranglerait tous !…

Bégearss
J'aime à croire que tu m'en exceptes.

Suzanne
Ma foi !… pas trop.

Bégearss (riant.)
J'adore ta franche colère
elle met à jour ton bon cœur ! Quant à l'amoureux chevalier, il le destine à voyager… longtemps. — Le Figaro, homme expérimenté, sera son discret conducteur. (Il lui prend la main.)
Et voici ce qui nous concerne : le comte, Florestine et moi, habiterons le même hôtel : et la chère Suzanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticité, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur ; des jours filés d'or et de soie, et la vie la plus fortunée !…

Suzanne
À vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprès de Florestine.

Bégearss (caressant)
À dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme ! J'ai tout le reste dans ma main ; ce point seul est entre les tiennes. (Vivement.)
Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé… (Suzanne l'examine. Bégearss se reprend.)
Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. (Froidement.)
Car, ma foi ! c'est bien peu de chose ! Le Comte aurait la fantaisie… de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamants de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût.

Suzanne(surprise.)
Ha ! ha !…

Bégearss
Ce n'est pas trop mal vu ! De beaux diamants terminent bien des choses ! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier…

Suzanne
Pourquoi comme ceux de Madame ? C'est une idée assez bizarre !

Bégearss
Il prétend qu'ils soient aussi beaux… Tu sens, pour moi, combien c'était égal ! Tiens, vois-tu ? le voici qui vient.
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