ACTE III - Scène VIII
(La Comtesse, Le Comte, Bégearss.)
Le Comte (, d'un ton sérieux )
Madame, nous sommes seuls.
Bégearss ( encore ému )
C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, Monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût ?
Le Comte (, sèchement )
Monsieur… Je ne dis pas cela.
Bégearss (tout à fait remis )
Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente, l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à Madame, en répondant à sa consultation :
"Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérêt même qu'on eût à les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." (Il montre le Comte.)
Un accident inopiné ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur ? (Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin.)
Auriez-vous dit, Monsieur, autre chose en ma position ? Qui cherche des conseils timides, ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi ! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous surtout, Monsieur le Comte ! (Le Comte lui fait un signe.)
Voilà sur la demande que m'a faite Madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l'ai vue manquer de courage ; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudents. Voilà quels étaient nos débats ; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. (Il lève les bras.)
Sainte amitié ! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austères devoirs. Permettez que je me retire.
Le Comte (, exalté )
O le meilleur des hommes ! Non, vous ne nous quitterez pas. — Madame, il va nous appartenir de plus près ; je lui donne ma Florestine.
La Comtesse (, avec vivacité )
Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire, et le plus tôt vaudra le mieux.
Le Comte (, hésitant )
Eh bien !… ce soir… sans bruit… votre aumônier…
La Comtesse (, avec ardeur )
Eh bien ! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l'auguste cérémonie : mais laisserez-vous votre ami seul généreux envers ce digne enfant ? j'ai du plaisir à penser le contraire.
Le Comte (, embarrassé )
Ah ! Madame… croyez…
La Comtesse (, avec joie )
Oui, Monsieur, je le crois. C'est aujourd'hui la fête de mon fils ; ces deux événements réunis me rendent cette journée bien chère. (Elle sort.)