ACTE IV - Scène première
Figaro (, seul, agité, regardant de côté et d'autre.)
Elle me dit : "Viens à six heures au cabinet ; c'est le plus sûr pour nous parler…" Je brusque tout dehors, et je rentre en sueur ! Où est-elle ? (Il se promène en s'essuyant.)
Ah ! parbleu, je ne suis pas fou ! je les ai vus sortir d'ici, Monsieur le tenant sous le bras… ! Eh bien ! pour un échec, abandonnons-nous la partie ?… Un orateur fuit-il lâchement la tribune, pour un argument tué sous lui ? Mais, quel détestable endormeur ! (Vivement.)
Parvenir à brûler les lettres de Madame, pour qu'elle ne voie pas qu'il en manque ; et se tirer d'un éclaircissement !… C'est l'enfer concentré, tel que Milton nous l'a dépeint ! (D'un ton badin.)
J'avais raison tantôt, dans ma colère : Honoré Bégearss est le diable que les Hébreux nommaient Légion ; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. (Il rit.)
Ah ! ah ! ah ! ma gaieté me revient ; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal, ce qui nous donnera du temps ; (Il frappe d'un billet sur sa main.)
et puis… Docteur en toute hypocrisie ! vrai major d'infernal Tartuffe ! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés, voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser désirer ! (Il ouvre le billet et dit :)
Le coquin qui l'a lue en veut cinquante louis ?… eh bien ! il les aura, si la lettre les vaut ; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maître à qui nous devons tant… Mais où es-tu, Suzanne, pour en rire ? O che piacere !… A demain donc ! car je ne vois pas que rien périclite ce soir… Et pourquoi perdre un temps ? Je m'en suis toujours repenti… (Très vivement.)
Point de délai ; courons attacher le pétard ; dormons dessus ; la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre.