ACTE PREMIER - Scène VIII



(Le Comte, Bégearss.)

Bégearss
Quel est votre projet sur l'examen de cet écrin ?

Le Comte (tire de sa poche un bracelet entouré de brillants )
Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront ; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin…

Bégearss
Je l'ai connu ; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus.

Le Comte
C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui ; je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. — Un an après la naissance du fils… qu'un combat détesté m'enlève ; (Il met la main à ses yeux.)
, lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique ; au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas Frescas, qui est un superbe séjour, quelle retraite, ami, crois-tu que ma femme choisit ? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre, que j'avais achetée des parents de ce page. C'est là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence ; qu'elle y a mis au monde… (après neuf ou dix mois, que sais-je ?)
ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide ! Jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la comtesse, le peintre, ayant trouvé ce page fort joli, désira d'en faire une étude ; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet.

Bégearss
Oui… (Il baisse les yeux.)
à telles enseignes que votre épouse…

Le Comte (, vivement )
Ne veut jamais le regarder ? Eh bien ! sur ce portrait, j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le même joaillier qui monta tous ses diamants ; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence, vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle, une explication sévère éclaircit ma honte à l'instant.

Bégearss
Si vous demandez mon avis, Monsieur, je blâme un tel projet.

Le Comte
Pourquoi ?

Bégearss
L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piège ! des surprises ! Eh ! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi ?

Le Comte
Il est trop tard pour reculer ; le bracelet est fait, le portrait du page est dedans…

Bégearss (prend l'écrin )
Monsieur, au nom du véritable honneur…

Le Comte (a enlevé le bracelet de l'écrin )
Ah ! mon cher portrait, je te tiens ! J'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter !… (Il y substitue l'autre.)

Bégearss ( feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur côté ; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère )
Ah ! voilà la boîte brisée !

Le Comte (regarde )
Non ; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers !

Bégearss (s'y opposant )
Je me flatte, Monsieur, que vous n'abuserez point…

Le Comte (, impatient )
"Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir"… Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. (Il arrache les papiers.)

Bégearss (avec chaleur )
Pour l'espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat ! Remettez ces papiers, Monsieur, ou souffrez que je me retire. (Il s'éloigne. Le Comte tient des papiers et lit. Bégearss le regarde en dessous, et s'applaudit secrètement.)

Le Comte (, avec fureur )
Je n'en veux pas apprendre davantage ; renferme tous les autres, et moi, je garde celui-ci.

Bégearss
Non ; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une…

Le Comte (, fièrement )
Une… ! Achevez ! tranchez le mot, je puis l'entendre.

Bégearss (se courbant )
Pardon, Monsieur, mon bienfaiteur ! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche.

Le Comte
Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. (Il se jette sur un fauteuil.)
Ah ! perfide Rosine !… Car, malgré mes légèretés, elle est la seule pour qui j'aie éprouvé… J'ai subjugué les autres femmes ! Ah ! je sens à ma rage combien cette indigne passion… ! Je me déteste de l'aimer !

Bégearss
Au nom de Dieu, Monsieur, remettez ce fatal papier.
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