ACTE PREMIER - Scène VI



(Le Comte, Bégearss.)

Le Comte
J'ai tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter.

Bégearss
Il en est un, Monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus ; je vous trouve un air accablé…

Le Comte
Te le dirai-je, ami ? la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur. Un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable.

Bégearss
Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là-dessus, je vous dirais que votre second fils…

Le Comte (, vivement )
Mon second fils ! je n'en ai point !

Bégearss
Calmez-vous, Monsieur ; raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre, envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits ?

Le Comte
Des conjectures ? Ah ! j'en suis trop certain ! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. — Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort peu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune… que me faisait cet autre individu ? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malte, une pension, m'auraient vengé de sa mère et de lui ! Mais conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres ; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père ?

Bégearss
Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous apaiser ; mais la vertu de votre épouse…

Le Comte (, avec colère )
Ah ! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là ! Commander vingt ans, par ses mœurs et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde ; et verser sur moi seul, par cette conduite affectée, tous les torts qu'entraîne après soi ma prétendue bizarrerie !… Ma haine pour eux s'en augmente.

Bégearss
Que vouliez-vous donc qu'elle fît, même en la supposant coupable ? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin ? Fûtes-vous sans reproche vous-même ? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près…

Le Comte
Qu'elle assure donc ma vengeance ! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera-Cruz, vont lui servir de dot ; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon portefeuille, et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné…

Bégearss (montrant le crêpe de son bras )
Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil.

Le Comte
Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entamé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays, je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux.

Bégearss (vivement )
Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons… peut-être encore très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom ! d'un jeune homme plein de mérite ; car il faut avouer qu'il en a…

Le Comte (, impatienté )
Plus que mon fils, voulez-vous dire ? Chacun le pense comme vous ; cela m'irrite contre lui !…

Bégearss
Si votre pupille m'accepte, et si, sur vos grands biens, vous prélevez, pour la doter, ces trois millions d'or du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire.

Le Comte (le serre dans ses bras )
Loyal et franc ami ! quel époux je donne à ma fille !… Scène VII : Suzanne, Le Comte, Bégearss. Suzanne : Monsieur, voilà le coffre aux diamants ; ne le gardez pas trop longtemps ; que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez Madame.

Le Comte
Suzanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne.

Suzanne (à part )
Avertissons Figaro de ceci. (Elle sort.)
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