ACTE QUATRIÈME - SCÈNE II



(les mêmes, UN VALET, puis VAUTRIN.)
(Le valet apporte a la duchesse une carte enveloppée et cachetée.)

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL (à Inès.)
Le général Crustamente, envoyé secret de Sa Majesté don Augustin Ier, empereur du Mexique. Qu'est-ce que cela veut dire ?

INÈS
Du Mexique ! il nous apporte sans doute des nouvelles de mon père !

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL (au valet.)
Faites entrer.
(Vautrin paraît habillé en général mexicain, sa taille a quatre pouces de plus, son chapeau est fourni de plumes blanches, son habit est bleu de ciel avec les riches broderies des généraux mexicains : pantalon blanc, écharpe aurore, les cheveux traînants et frisés comme ceux de Murat : Il a un grand sabre, il a le teint cuivré, il grasseye comme les Espagnols du Mexique son parler ressemble au provençal, plus l'accent guttural des Maures.)

VAUTRIN
Est-ce bien à madame la duchesse de Christoval que j'ai l'honneur de parler ?

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Oui, Monsieur.

VAUTRIN
Et Mademoiselle ?

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Ma fille, Monsieur.

VAUTRIN
Mademoiselle est la señora Inès, de son chef princesse d'Arjos. En vous voyant, l'idolâtrie de M. de Christoval pour sa fille se comprend parfaitement. Mesdames, avant tout, je demande une discrétion absolue : ma mission est déjà difficile, et si l'on soupçonnait qu'il pût exister des relations entre vous et moi, nous serions tous compromis.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Je sous promets le secret et sur votre nom et sur votre visite.

INÈS
Général, il s'agit de mon père, vous me permettez de rester.

VAUTRIN
Vous êtes nobles et Espagnoles, je compte sur votre parole.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Je vais recommander à mes gens de se taire.

VAUTRIN
Pas un mot ; réclamer leur silence, c'est souvent provoquer leur indiscrétion. Je réponds des miens. J'avais pris l'engagement de vous donner à mon arrivée des nouvelles de M. de Christoval, et voici ma première visite.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Parlez-nous promptement de mon mari, général ! Où se trouve-t-il ?

VAUTRIN
Le Mexique, Madame, est devenu ce qu'il devait être tôt ou tard, un État indépendant de l'Espagne. Au moment où je parle, il n'y a plus un seul Espagnol, il ne s'y trouve plus que des Mexicains.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
En ce moment ?

VAUTRIN
Tout se fait en un moment pour qui ne voit pas les causes. Que voulez-vous ? Le Mexique éprouvait le besoin de son indépendance, il s'est donné un empereur ! Cela peut surprendre encore, rien cependant de plus naturel : partout les principes peuvent attendre, partout les hommes sont pressés.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Qu'est-il donc arrivé à M. de Christoval ?

VAUTRIN
Rassurez-vous, Madame, il n'est pas empereur. Monsieur le duc a failli, par une résistance désespérée, maintenir le royaume sous l'obéissance de Ferdinand VII.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Mais, Monsieur, mon mari n'est pas militaire.

VAUTRIN
Non, sans doute ; mais c'est un habile courtisan, et c'était bien joué. En cas de succès, il rentrait en grâce. Ferdinand ne pouvait se dispenser de le nommer vice-roi.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Dans quel siècle étrange vivons-nous ?

VAUTRIN
Les révolutions se succèdent et ne se ressemblent pas. Partout on imite la France. Mais, je vous en supplie, ne parlons pas politique, c'est un terrain brûlant.

INÈS
Mon père, général, avait-il reçu nos lettres ?

VAUTRIN
Dans une pareille bagarre, les lettres peuvent bien se perdre, quand les couronnes ne se retrouvent pas.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Et qu'est devenu M. de Christoval ?

VAUTRIN
Le viel Amoagos, qui là-bas exerce une énorme influence, a sauvé votre mari, au moment où j'allais le faire fusiller…

LA DUCHESSE DE CHRISTOVALet SA FILLE
Ah !

VAUTRIN
C'est ainsi que nous nous sommes connus.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Vous, général ?

INÈS
Mon père, Monsieur !

VAUTRIN
Eh ! Mesdames, j'étais ou pendu par lui comme un rebelle, ou l'un des héros d'une nation délivrée, et me voici ! En arrivant à l'improviste à la tête des ouvriers de ses mines, Amoagos décidait la question. Le salut de son ami le duc de Christoval a été le prix de son concours. Entre nous, l'empereur Iturbide, mon maître, n'est qu'un nom : l'avenir du Mexique est tout entier dans le parti du vieil Amoagos.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Quel est donc, Monsieur, cet Amoagos qui, selon vous, est l'arbitre des destinées du Mexique ?

VAUTRIN
Vous ne le connaissez pas ici ? Vraiment non ? Je ne sais pas ce qui pourra souder l'ancien monde au nouveau ? Oh ! ce sera la vapeur. Exploitez donc des mines d'or ! soyez don Inigo, Jan Varaco Cardaval de los Amoagos, las Frescas y Peral… mais dans la kirielle de nos noms espagnols, vous le savez, nous n'en disons jamais qu'un. Je m'appelle simplement Crustamente. Enfin, soyez le futur président de la république mexicaine, et la France vous ignore. Mesdames, le vieil Amoagos a reçu là-bas M. de Christoval, comme un vieux gentilhomme d'Aragon qu'il est, devait accueillir un grand d'Espagne banni pour avoir été séduit par le beau nom de Napoléon.

INÈS
N'avez-vous pas dit Frescas dans les noms ?

VAUTRIN
Oui, Frescas est le nom de la seconde mine exploitée par don Cardaval ; mais vous allez connaître toutes les obligations de M. le duc envers son hôte par les lettres que je vous apporte. Elles sont dans mon portefeuille. J'ai besoin de mon portefeuille. (À part.)
Elles ont assez bien mordu à mon vieil Amoagos. (Haut.)
Permettez-moi de demander un de mes gens ? (La duchesse ait signe à Inès de sonner. À la duchesse. Accordez-moi, Madame, un moment d'entretien. À un valet.)
Dites à mon nègre ; mais non, il ne comprend que son affreux patois, faites-lui signe de venir.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Mon enfant, vous me laisserez seule un moment. (Lafouraille parait.)

VAUTRIN (à Lafouraille.)
Jiji roro flouri.

LAFOURAILLE
Joro.

INÈS (à Vautrin.)
La confiance de mon père suffirait à vous mériter un bon accueil ; mais, général, votre empressement à dissiper nos inquiétudes vous vaut ma reconnaissance.

VAUTRIN
De la re… connais… sance ! Ah ! señora, si nous comptions, je me croirais le débiteur de votre illustre père, après avoir eu le bonheur de vous voir.

LAFOURAILLE
Io.

VAUTRIN
Caracas, y mouli joro, fistas, ip souri.

LAFOURAILLE
Souri joro.

VAUTRIN (aux dames.)
Mesdames, voici vos lettres. (À part à Lafouraille.)
Circule de l'antichambre à la cour, bouche close, l'oreille ouverte, les mains au repos, l'œil au guet, et du nez.

LAFOURAILLE
Ia, mein herr.

VAUTRIN (en colère.)
Souri joro, fistas.

LAFOURAILLE
Joro. (Bas.)
Voici les papiers de Langeac.

VAUTRIN
Je ne suis pas pour l'émancipation des nègres quand il n'y en aura plus, nous serons forcés d'en faire avec les blancs.

INÈS (à sa mère.)
Permettez-moi, ma mère, d'aller lire la lettre de mon père. (À Vautrin.)
Général…
(Elle salue.)

VAUTRIN
Elle est charmante, puisse-t-elle être heureuse !
(Inès sort, sa mère la conduit en faisant quelques pas avec elle.)
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