ACTE PREMIER - SCÈNE V



(JOSEPH, VAUTRIN.)
(Vautrin paraît avec un surtout couleur de tan, garni de fourrures, dessous noir ; Il a la tenue d'un ministre diplomatique étranger en soirée.)

JOSEPH
Maudite fille ! nous étions perdus.

VAUTRIN
Tu étais perdu. Ah ! ça ! mais tu tiens donc beaucoup à ne pas te reperdre, toi ? Tu jouis donc de la paix du cœur ici ?

JOSEPH
Ma foi, je trouve mon compte à être honnête.

VAUTRIN
Et entends-tu bien l'honnêteté ?

JOSEPH
Mais, ça et mes gages, je suis content.

VAUTRIN
Je te vois venir, mon gaillard. Tu prends peu et souvent, tu amasses, et tu auras encore l'honnêteté de prêter à la petite semaine. Eh bien tu ne saurais croire quel plaisir j'éprouve à voir une de mes vieilles connaissances arriver à. une position honorable. Tu le peux, tu n'as que des défauts, et c'est la moitié de la vertu. Moi, j'ai eu des vices, et je les regrette… comme ça passe ! Et maintenant plus rien ! il ne me reste que les dangers et la lutte. Après tout, c'est la vie d'un Indien entouré d'ennemis, et je défends mes cheveux.

JOSEPH
Et les miens ?

VAUTRIN
Les tiens ?… Ah ! c'est vrai. Quoi qu'il arrive ici, tu as la parole de Jacques Collin de n'être jamais compromis mais tu m'obéiras en tout !

JOSEPH
En tout ?… cependant…

VAUTRIN
On connaît son Code. S'il y a quelque méchante besogne, j'aurai mes fidèles, mes vieux. Es-tu depuis longtemps ici ?

JOSEPH
Madame la duchesse m'a pris pour valet de chambre en allant à Gand, et j'ai la confiance de ces dames.

VAUTRIN
Ça me va ! J'ai besoin de quelques notes sur les Montsorel. Que sais-tu ?

JOSEPH
Rien.

VAUTRIN
La confiance des grands ne va jamais plus loin. Qu'as-tu découvert ?

JOSEPH
Rien.

VAUTRIN (à part.)
Il devient aussi par trop honnête homme. Peut-être croit-il ne rien savoir ? Quand on cause pendant cinq minutes avec un homme, on en tire toujours quelque chose. (Haut.)
Où sommes-nous ici ?

JOSEPH
Chez madame la duchesse, et voici ses appartements ; ceux de M. le duc sont ici au-dessous la chambre de leur fils unique le marquis est au-dessus, et donne sur la cour.

VAUTRIN
Je t'ai demandé les empreintes de toutes les serrures du cabinet de M. le duc, où sont-elles ?

JOSEPH (avec hésitation.)
Les voici.

VAUTRIN
Toutes les fois que je voudrai venir ici, tu trouveras une croix faite à la craie sur la porte du jardin ; tu iras l'examiner tous les soirs. On est vertueux ici, les gonds de cette porte sont bien rouillés ; mais Louis XVIII ne peut pas être Louis XV ! Adieu, mon garçon ; je viendrai la nuit prochaine. (À part.)
Il faut aller rejoindre mes gens à l'hôtel de Christoval.

JOSEPH (à part.)
Depuis que ce diable d'homme m'a retrouvé, je suis dans des transes…

VAUTRIN (revenant.)
Le duc ne vit donc pas avec sa femme ?

JOSEPH
Brouillés depuis vingt ans.

VAUTRIN
Et pourquoi ?

JOSEPH
Leur fils lui-même ne le sait pas.

VAUTRIN
Et ton prédécesseur, pourquoi fut-il renvoyé ?

JOSEPH
Je ne sais, je ne l'ai pas connu. Ils n'ont monté leur maison que depuis le second retour du roi.

VAUTRIN
Voici les avantages de la société nouvelle : il n'y a plus de liens entre les maitres et les domestiques ; plus d'attachement, par conséquent, plus de trahisons possibles. (À Joseph.)
Se dit-on des mots piquants à table ?

JOSEPH
Jamais rien devant les gens.

VAUTRIN
Que pensez-vous d'eux, à l'office, entre vous !

JOSEPH
La duchesse est une sainte.

VAUTRIN
Pauvre femme ! et le duc ?

JOSEPH
Un égoïste.

VAUTRIN
Oui, un homme d'État. (À part.)
Il doit avoir des secrets, nous verrons dans son jeu. Tout grand seigneur a de petites passions par lesquelles on le mène ; et si je le tiens une fois, il faudra bien que son fils… (À Joseph.)
Que dit-on du mariage du marquis de Monsorel avec Inès de Christoval ?

JOSEPH
Pas un mot ! La duchesse semble s'y intéresser fort peu.

VAUTRIN
Elle n'a qu'un fils ! Ceci n'est pas naturel.

JOSEPH
Entre nous, je crois qu'elle n'aime pas son fils.

VAUTRIN
Il a fallu t'arracher cette parole du gosier comme on tire le bouchon d'une bouteille de vin de Bordeaux ! Il y a donc un secret dans cette maison ? Une mère, une duchesse de Montsorel qui n'aime pas son fils, un fils unique ! Quel est son confesseur.

JOSEPH
Elle fait toutes ses dévotions en secret.

VAUTRIN
Bien ! je saurai tout les secrets sont comme les jeunes filles, plus on les garde, mieux on les trouve. Je mettrai deux de mes drôles de planton à Saint-Thomas d'Aquin : ils ne feront pas leur salut, mais… ils feront autre chose. Adieu.
ACTE PREMIER - SCÈNE PREMIÈRE ACTE PREMIER - SCÈNE II ACTE PREMIER - SCÈNE III ACTE PREMIER - SCÈNE IV ACTE PREMIER - SCÈNE V ACTE PREMIER - SCÈNE VI ACTE PREMIER - SCÈNE VII ACTE PREMIER - SCÈNE VIII ACTE PREMIER - SCÈNE IX ACTE PREMIER - SCÈNE X ACTE DEUXIÈME - SCÈNE PREMIÈRE ACTE DEUXIÈME - SCÈNE II ACTE DEUXIÈME - SCÈNE III ACTE DEUXIÈME - SCÈNE IV ACTE DEUXIÈME - SCÈNE V ACTE DEUXIÈME - SCÈNE VI ACTE DEUXIÈME - SCÈNE VII ACTE DEUXIÈME - SCÈNE VIII ACTE DEUXIÈME - SCÈNE IX ACTE DEUXIÈME - SCÈNE X ACTE DEUXIÈME - SCÈNE XI ACTE DEUXIÈME - SCÈNE XII ACTE DEUXIÈME - SCÈNE XIII ACTE TROISIÈME - SCÈNE PREMIÈRE ACTE TROISIÈME - SCÈNE II ACTE TROISIÈME - SCÈNE III ACTE TROISIÈME - SCÈNE IV ACTE TROISIÈME - SCÈNE V ACTE TROISIÈME - SCÈNE VI ACTE TROISIÈME - SCÈNE VII ACTE TROISIÈME - SCÈNE VIII ACTE TROISIÈME - SCÈNE IX ACTE TROISIÈME - SCÈNE X ACTE QUATRIÈME - SCÈNE PREMIÈRE ACTE QUATRIÈME - SCÈNE II ACTE QUATRIÈME - SCÈNE III ACTE QUATRIÈME - SCÈNE IV ACTE QUATRIÈME - SCÈNE V ACTE QUATRIÈME - SCÈNE VI ACTE QUATRIÈME - SCÈNE VII ACTE QUATRIÈME - SCÈNE VIII ACTE QUATRIÈME - SCÈNE IX ACTE QUATRIÈME - SCÈNE X ACTE QUATRIÈME - SCÈNE XI ACTE QUATRIÈME - SCÈNE XII ACTE CINQUIÈME - SCÈNE PREMIÈRE ACTE CINQUIÈME - SCÈNE II ACTE CINQUIÈME - SCÈNE III ACTE CINQUIÈME - SCÈNE IV ACTE CINQUIÈME - SCÈNE V ACTE CINQUIÈME - SCÈNE VI ACTE CINQUIÈME - SCÈNE VII ACTE CINQUIÈME - SCÈNE VIII ACTE CINQUIÈME - SCÈNE IX ACTE CINQUIÈME - SCÈNE X ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XI ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XII ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XIII ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XIV ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XV ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XVI ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XVII

Autres textes de Honoré de Balzac

Paméla Giraud

(Le théâtre représente une mansarde et l'atelier d'une fleuriste. Au lever du rideau Paméla travaille, et Joseph Binet est assis. La mansarde va vers le fond du théâtre ; la porte...

Les Ressources de Quinola

(La scène est à Valladolid, dans le palais du roi d'Espagne. Le théâtre représente la galerie qui conduit à la chapelle. L'entrée de la chapelle est à gauche du spectateur,...

La Marâtre

"La Marâtre" est une tragédie en cinq actes écrite par Honoré de Balzac, moins connu pour son travail dramatique que pour ses romans et nouvelles. La pièce, qui date de...

Le Père Goriot

AU GRAND ET ILLUSTRE GEOFFROY-SAINT-HILAIRE.Comme un témoignage d’admiration de ses travaux et de son génie.Madame Vauquer, née de Coflans, est une vieille femme qui, depuis quarante ans, tient à Paris...

Eugénie Grandet

Il se trouve dans certaines provinces des maisons dont la vue inspire une mélancolie égale à celle que provoquent les cloîtres les plus sombres, les landes les plus ternes ou...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024