ACTE QUATRIÈME - SCÈNE III
(LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL VAUTRIN.)
VAUTRIN (à part.)
Si le Mexique se voyait représenter comme ça, il serait capable de me condamner aux ambassades à perpétuité. (Haut.)
Oh ! excusez-moi, Madame, j'ai tant de sujets de réflexions !
LA DUCHESSE
Si les préoccupations sont permises, n'est-ce pas à vous autres diplomates ?
VAUTRIN
Aux diplomates par état, oui ; mais je compte rester militaire et franc. Je veux réussir par la franchise. Nous voilà seuls, causons, car j'ai plus d'une mission délicate.
LA DUCHESSE
Auriez-vous des nouvelles que ma fille ne devrait pas entendre ?
VAUTRIN
Peut-être. Allons droit au fait : la señora est jeune et belle, elle est riche et noble ; elle peut avoir quatre fois plus de prétendants que toute autre. On se dispute sa main. Eh bien ! son père me charge de savoir si elle a plus particulièrement remarqué quelqu'un.
LA DUCHESSE
Avec un homme franc, général, je serai franche. L'étrangeté de votre demande ne me permet pas d'y répondre.
VAUTRIN
Ah ! prenez garde ! Pour ne jamais nous tromper, nous autres diplomates, nous interprétons toujours le silence en mauvaise part.
LA DUCHESSE
Monsieur, vous oubliez qu'il s'agit d'Inès de Christoval.
VAUTRIN
Elle n'aime personne. Eh bien ! elle pourra donc obéir aux vœux de son père.
LA DUCHESSE
Comment, M. de Christoval aurait disposé de sa fille ?
VAUTRIN
Vous le voyez ? votre inquiétude vous trahit. Elle a donc fait un choix ! Eh bien ! maintenant je tremble autant de vous interroger que vous de répondre. Ah ! si le jeune homme aimé par votre fille était un étranger, riche, en apparence sans famille, et qui cachât son pays…
LA DUCHESSE
Ce nom de Frescas, dit par vous, est celui que prend un jeune homme qui recherche Inès.
VAUTRIN
Se nommerait-il aussi Raoul ?
LA DUCHESSE
Oui, Raoul de Frescas.
VAUTRIN
Un jeune homme fin, spirituel, élégant, vingt-trois ans.
LA DUCHESSE
Doué de ces manières qui ne s'acquièrent pas.
VAUTRIN
Romanesque au point d'avoir eu l'ambition d'être aimé pour lui-même, en dépit d'une immense fortune ; il a voulu la passion dans le mariage, une folie ! Le jeune Amoagos, car c'est lui, Madame…
LA DUCHESSE
Mais ce nom de Raoul n'est pas…
VAUTRIN
Mexicain, vous avez raison. Il lui a été donné par sa mère, une Française, une émigrée, une demoiselle de Granville, venue de Saint-Domingue. L'imprudent est-il aimé ?
LA DUCHESSE
Préféré à tous !
VAUTRIN
Mais ouvrez cette lettre, lisez-la, Madame ; et vous verrez que j'ai pleins pouvoir des seigneurs Amoagos et Christoval pour conclure ce mariage.
LA DUCHESSE
Oh ! laissez-moi, Monsieur, rappeler Inès.
(Elle sort.)