ACTE CINQUIÈME - SCÈNE II



(JOSEPH LAFOURAILLE, BUTEUX ; puis VAUTRIN.)
(On entend pendant un instant faire prrrrrr.)

JOSEPH
Allons, bon ! v'là notre air national, ça me fait toujours trembler. (Lafouraille entre.)
Qui êtes-vous ? (Lafouraille fait un signe.)
Un nouveau ?

LAFOURAILLE
Un vieux.

JOSEPH
Il est là.

LAFOURAILLE
Est-ce qu'il attendrait ? il va venir.
(Buteux se montre.)

JOSEPH
Comment, vous serez trois !

LAFOURAILLE (montrant Joseph.)
Nous serons quatre.

JOSEPH
Que venez-vous donc faire à cette heure ? Voulez-vous tout prendre ici ?

LAFOURAILLE
Il nous croit des voleurs !

BUTEUX
Ça se prouve quelquefois, quand on est malheureux ; mais ça ne se dit pas…

LAFOURAILLE
On fait comme les autres, on s'enrichit, voilà tout !

JOSEPH
Mais monsieur le duc va…

LAFOURAILLE
Ton duc ne peut pas rentrer avant deux heures, et ce temps nous suffit ; ainsi ne viens pas entrelarder d'inquiétudes le plat de notre métier que nous avons à servir…

BUTEUX
Et chaud.

VAUTRIN (vêtu d'une redingote brune, pantalon bleu, gilet noir, les cheveux courts, un faux air de Napoléon en bourgeois. Il entre, éteint brusquement la chandelle et et tire sa lanterne sourde.)
De la lumière ici ! vous vous croyez donc encore dans la vie bourgeoise ! Que ce niais ait oublié les premiers éléments, cela se conçoit ; mais vous autres ? (À Buteux, en lui montrant Joseph.)
Mets-lui du coton dans les oreilles, allez causer là-bas. (À Lafouraille.)
Et le petit ?

LAFOURAILLE
Gardé à vue !

VAUTRIN
Dans quel endroit ?

LAFOURAILLE
Dans l'autre pigeonnier de la femme à Giroflée, ici près, derrière les Invalides.

VAUTRIN
Et qu'il ne s'en échappe pas comme cette anguille de Saint-Charles, cet enragé, qui vient de démolir notre établissement… car je… je ne fais pas de menaces…

LAFOURAILLE
Pour le petit, je vous engage ma tête ! Philosophe lui a mis des cothurnes aux mains et des manchettes aux pieds, il ne le rendra qu'à moi. Quant à l'autre, que voulez-vous ? la pauvre Giroflée est bien faible contre les liqueurs fortes, et Blondet l'a deviné,

VAUTRIN
Qu'a dit Raoul ?

LAFOURAILLE
Des horreurs ! il se croit déshonoré. Heureusement, Philosophe n'adore pas les métaphores.

VAUTRIN
Conçois-tu que cet enfant veuille se battre à mort ? Un jeune homme a peur, il a le courage de ne pas le laisser voir et la sottise de se laisser tuer. J'espère qu'on l'a empêché d'écrire ?

LAFOURAILLE (, à part.)
Aïe ! aïe ! (Haut.)
Il ne faut rien vous cacher : avant d'être serré le prince avait envoyé la petite Nini porter une lettre à l'hôtel de Christoval.

VAUTRIN
À Inès ?

LAFOURAILLE
À Inès.

VAUTRIN
Ah ! puff !… des phrases !

LAFOURAILLE
Ah ! puff !… des bêtises !

VAUTRIN ( à Joseph.)
Eh ! là-bas ! l'honnête homme !

BUTEUX (amenant Joseph à Vautrin.)
Donnez-donc à monsieur des raisons, il en veut.

JOSEPH
Il me semble que ce n'est pas trop exiger que de demander ce que je risque et ce qui me reviendra.

VAUTRIN
Le temps est court, la parole est longue, employons l'un et dispensons-nous de l'autre. Il y a deux existences en péril, celle d'un homme qui m'intéresse et celle d'un mousquetaire que je juge inutile : nous venons le supprimer.

JOSEPH
Comment ! monsieur le marquis ? — Je n'en suis plus.

LAFOURAILLE
Ton consentement n'est pas à toi.

BUTEUX
Nous l'avons pris. Vois-tu, mon ami, quand le vin est tiré…

JOSEPH
S'il est mauvais, il ne faut pas le boire.

VAUTRIN
Ah ! tu refuses de trinquer avec moi ? Qui réfléchit calcule, et qui calcule trahit.

JOSEPH
Vos calculs sont à faire perdre la tête.

VAUTRIN
Assez, tu m'ennuies ! Ton maître doit se battre demain. Dans ce duel, l'un des deux adversaires doit rester sur le terrain ; figure-toi que le duel a eu lieu, et que ton maître n'a pas eu de chance.

BUTEUX
Comme c'est juste !

LAFOURAILLE
Et profond ! Monsieur remplace le Destin.

JOSEPH
Joli état.

BUTEUX
Et pas de patente à payer.

VAUTRIN (à Joseph, lui désignant Lafouraille et Buteux.)
Tu vas les cacher.

JOSEPH
Où ?

VAUTRIN
Je te dis de les cacher. Quand tout dormira dans l'hôtel, excepté nous, fais-les monter chez le mousquetaire. (À Buteux et Lafouraille.)
Tâchez d'y aller sans lui ; vous serez deux et adroits ; la fenêtre de sa chambre donne sur la cour. (Il lui parle à l'oreille.)
Précipitez-le, comme tous les gens au désespoir. (Il se tourne vers Joseph.)
Le suicide est une raison. personne ne sera compromis.
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