ACTE PREMIER - SCÈNE VIII



(LA DUCHESSEDE MONTSOREL, MADEMOISELLE DE VAUDREY.)

LA DUCHESSE
Il ne vous est donc pas plus possible qu'à moi de dormir ?

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Louise ! mon enfant, si je reviens, c'est pour dissiper un rêve dont le réveil sera funeste. Je regarde comme un devoir de vous arracher à des pensées folles. Plus j'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit, plus vous avez excité ma compassion. Je dois vous dire une cruelle vérité : le duc a certainement jeté Fernand dans une situation si précaire, qu'il lui est impossible de se retrouver dans le monde où vous êtes. Le jeune homme que vous avez vu n'est point votre fils.

LA DUCHESSE
Ah ! vous ne connaissez pas Fernand ! Moi, je le connais : en quelque lieu qu'il soit, sa vie agite ma vie. Je l'ai vu mille fois…

MADEMOISELLE DE VAUDREY
En rêve !

LA DUCHESSE
Fernand a dans les veines le sang des Montsorel et des Vaudrey. La place qu'il aurait tenue de sa naissance, il a su la conquérir ; partout où il se trouve, on lui cède. S'il a commencé par être soldat, il est aujourd'hui colonel. Mon fils est fier, il est beau, on l'aime ! Je suis sûre, moi, qu'il est aimé. Ne me dites pas non, ma tante, Fernand existe ; autrement, le duc aurait manqué à sa foi de gentilhomme, et il met à un trop haut prix les vertus de sa race pour les démentir.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
L'honneur et la vengeance du mari ne lui étaient-ils pas plus chers que la loyauté du gentilhomme ?

LA DUCHESSE
Ah ! vous me glacez.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Louise, vous le savez, l'orgueil de leur race est héréditaire chez les Montsorel, comme l'esprit chez les Mortemart.

LA DUCHESSE
Je ne le sais que trop ! Le doute sur la légitimité de son enfant l'a rendu fou.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Non. Le duc a le cœur ardent et la tête froide en ce qui touche les sentiments par lesquels ils vivent, les hommes de cette trempe vont vite dans l'exécution de ce qu'ils ont conçu.

LA DUCHESSE
Mais, ma tante, vous savez pourtant à quel prix il m'a vendu la vie de Fernand ? Ne l'ai-je pas assez chèrement payée pour n'avoir aucune crainte sur ses jours ? Persister à soutenir que je n'étais pas coupable, c'était le vouer à une mort certaine : j'ai livré mon honneur pour sauver mon fils. Toutes les mères en eussent fait autant ! Vous gardiez ici mes biens, j'étais seule en pays étranger en proie à la faiblesse, à la fièvre, sans conseils, j'ai perdu la tête car, depuis, je me suis dit qu'il n'aurait pas exécuté ses menaces. En faisant un pareil sacrifice, je savais que Fernand serait pauvre et abandonné, sans nom, dans un pays inconnu ; mais je savais aussi qu'il vivrait, et qu'un jour je le retrouverais, dussé-je pour cela remuer le monde entier ! J'étais si joyeuse en rentrant, que j'ai oublié de vous donner l'acte de naissance de Fernand, que l'ambassadrice d'Espagne m'a enfin obtenu : portez-le sur vous jusqu'à ce qu'il soit entre les mains de notre directeur.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Le duc doit savoir déjà les démarches que vous avez faites, et malheur à votre fils ! Depuis son retour il s'est mis à travailler, il travaille encore.

LA DUCHESSE
Si je secoue l'opprobre dont il a essayé de me couvrir, si je renonce à pleurer dans le silence, ne croyez pas que rien puisse me faire plier. Je ne suis plus en Espagne ni en Angleterre, livrée à un diplomate rusé comme un tigre, qui, pendant toute l'émigration, a guetté mes regards, mes gestes, mes paroles et mon silence, qui lisait ma pensée jusque dans les derniers replis de mon cœur ; qui m'entourait de son invisible espionnage comme d'un réseau de fer ; qui avait fait de chacun de mes domestiques un geôlier incorruptible, et qui me tenait prisonnière dans la plus horrible de toutes les prisons, une maison ouverte ! Je suis en France, je vous ai retrouvée, j'ai ma charge à la cour, j'y puis parler : je saurai ce qu'est devenu le vicomte de Langeac, je prouverai que, depuis le 10 août, il ne nous a pas été possible de nous voir, je dirai au roi le crime commis par un père sur l'héritier de deux grandes maisons. Je suis femme, je suis duchesse de Montsorel, je suis mère ! nous sommes riches, nous avons un vertueux prêtre pour conseil et le bon droit pour nous, et si j'ai demandé l'acte de naissance de mon fils…
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