ACTE DEUXIÈME - SCÈNE X



(les mêmes, JOSEPH, RAOUL)

JOSEPH (à la duchesse de Montsorel.)
Mademoiselle de Vaudrey n'y est pas, M. de Frescas se présente, madame la duchesse veut-elle le recevoir ?

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Raoul, ici !

LE DUC
Déjà chez elle !

LE MARQUIS (, à son père.)
Ma mère nous trompe.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL.)
Je n'y suis pas.

LE DUC
Si vous avez déjà prié M. de Frescas de venir, pourquoi commencer par une impolitesse avec un si grand personnage ? (La duchesse de Montsorel fait un geste. À Joseph.)
Faites entrer ! (Au marquis.)
Soyez prudent et calme.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL, à part.)
En voulant le sauver, c'est moi qui l'aurai perdu.

JOSEPH
M. Raoul de Frescas.

RAOUL
Mon empressement à me rendre à vos ordres vous prouve, madame la duchesse, combien je suis fier de cette faveur et désireux de la mériter.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL.)
Je vous sais gré, Monsieur, de votre exactitude. (À part, bas.)
Mais elle peut vous être funeste.

RAOUL (saluant la duchesse de Christoval et sa fille à part.)
Comment ! Inès chez eux ?
(Raoul salue le duc, qui lui rend son salut ; mais le marquis a pris les journaux sur la table, et feint de na pas voir Raoul.)

LE DUC
Je ne m'attendais pas, je vous l'avoue, Monsieur de Frescas, à vous rencontrer chez madame de Montsorel ; mais je suis heureux de l'intérêt qu'elle vous témoigne, puisqu'il me procure le plaisir de voir un jeune homme dont le début obtient tant de succès et jette tant d'éclat. Vous êtes un de ces rivaux de qui l'on est fier si l'on est vainqueur, et par lesquels on peut être vaincu sans trop de déplaisir.

RAOUL
Partout ailleurs que chez vous, monsieur le duc, l'exagération de ces éloges, auxquels je me refuse, serait de l'ironie : mais il m'est impossible de ne pas y voir un courtois désir de me mettre à l'aise (en regardant le marquis qui lui tourne le dos.)
, là où je pouvais me croire importun.

LE DUC
Vous arrivez, au contraire, très à propos, nous parlions de votre famille et de ce vieux commandeur de Frescas que Madame et moi avons beaucoup vu jadis.

RAOUL
Vous aviez la bonté de vous occuper de moi ; mais c'est un honneur qui se paye ordinairement par un peu de médisance.

LE DUC
On ne peut dire du mal que des gens qu'on connaît bien.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Et nous voudrions bien avoir le droit de médire de vous.

RAOUL
Il est de mon intérêt de conserver vos bonnes grâces.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL.)
Je connais un moyen sûr.

RAOUL
Et lequel ?

LA DUCHESSE ( DE MONTSOREL.)
Restez le personnage mystérieux que vous êtes.

LE MARQUIS ( revenant avec un journal.)
Voici, Mesdames, quelque chose d'étrange chez le feld-maréchal, où vous étiez sans doute, on a surpris un de ces soi-disant seigneurs étrangers qui volait au jeu.

INÈS
Et c'est là cette grande nouvelle qui vous absorbait ?

RAOUL
En ce moment, qui est-ce qui n'est pas étranger ?

LE MARQUIS
Mademoiselle, ce n'est pas précisément la nouvelle qui me préoccupe, mais l'inconcevable facilité avec laquelle on accueille des gens sans savoir ce qu'ils sont ni d'où ils viennent.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL, à part.)
Veulent-ils l'insulter chez moi ?

RAOUL
S'il faut se défier des gens qu'on connait peu, n'en est-il pas qu'on connaît beaucoup trop en un instant ?

LE DUC
Albert, en quoi ceci peut-il nous intéresser ? Admettons-nous jamais quelqu'un sans bien connaître sa famille ?

RAOUL
Monsieur le duc connaît la mienne.

LE DUC
Vous êtes chez madame de Montsorel, et cela me suffit. Nous savons trop ce que nous vous devons, pour qu'il vous soit possible d'oublier ce que vous nous devez. Le nom de Frescas oblige, et vous le portez dignement.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL (, à Raoul.)
Ne voulez vous pas dire en ce moment qui vous êtes, sinon pour vous, du moins pour vos amis ?

RAOUL
Je serais au désespoir, Messieurs, si ma présence ici devenait la cause de la plus légère discussion mais comme certains ménagements peuvent blesser autant que les demandes les plus directes, nous finirons ce jeu, qui n'est digne ni de vous ni de moi. Madame la duchesse ne m'a pas, je crois, invité pour me faire subir des interrogatoires. Je ne reconnais à personne le droit de me demander compte d'un silence que je veux garder.

LE MARQUIS
Et nous laissez-vous le droit de l'interpréter ?

RAOUL
Si je réclame la liberté de ma conduite, ce n'est pas pour enchaîner la vôtre.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL.)
Il y va, Monsieur, de votre dignité de ne rien répondre.

LE DUC
Vous êtes un noble jeune homme, vous avez des distinctions naturelles qui signalent en vous le gentilhomme, ne vous offensez pas de la curiosité du monde : elle est notre sauvegarde à tous. Votre épée ne fermera pas la bouche à tous les indiscrets, et le monde, si généreux pour des modesties bien placées, est impitoyable pour des prétentions injustifiables.

RAOUL
Monsieur !

LA DUCHESSE ( DE MONTSOREL, vivement et bas à Raoul.)
Pas un mot sur votre enfance ; quittez Paris, et que je sache seule où vous serez… caché ! Il y va de tout votre avenir.

LE DUC
Je veux être votre ami, moi, quoique vous soyez le rival de mon fils. Accordez votre confiance à un homme qui a celle de son roi. Comment appartenez-vous à la maison de Frescas, que nous croyions éteinte ?

RAOUL (au duc.)
Monsieur le duc, vous êtes trop puissant pour manquer de protégés, et je ne suis pas assez faible pour avoir besoin de protecteurs.

LA DUCHESSE DE CHRISTOVAL
Monsieur, n'en veuillez pas à une mère d'avoir attendu cette discussion pour s'apercevoir qu'il y avait de l'imprudence à vous admettre souvent à l'hôtel de Christoval.

INÈS
Une parole nous sauvait, et vous avez gardé le silence : il y a donc quelque chose que vous aimez mieux que moi ?

RAOUL
Inès, je pouvais tout supporter, hors ce reproche ! (À part.)
O ! Vautrin, pourquoi m'avoir ordonné ce silence absolu ? (il salue les femmes. À la duchesse de Montsorel.)
Vous me devez compte de tout mon bonheur.

LA DUCHESSE (DE MONTSOREL)
Obéissez-moi, je réponds de tout.

RAOUL (au marquis.)
Je suis à vos ordres, Monsieur.

LE MARQUIS
Au revoir, monsieur Raoul.

RAOUL
De Frescas, s'il vous plaît.

LE MARQUIS
De Frescas, soit !
(Raoul sort.)
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