ACTE PREMIER - SCÈNE IX



(les mêmes, LE DUC.)
(Il est entré pendant que la duchesse prononçait les dernières paroles.)

LE DUC
C'est pour me le remettre, Madame.

LA DUCHESSE
Depuis quand, Monsieur, entrez-vous chez moi sans vous faire annoncer et sans ma permission ?

LE DUC
Depuis que vous manquez à nos conventions, Madame ; vous aviez juré de ne faire aucune démarche pour retrouver ce… votre fils… À cette condition seulement j'ai promis de le laisser vivre.

LA DUCHESSE
Et n'y a-t-il pas plus d'honneur à trahir un pareil serment qu'à tenir tous les autres ?

LE DUC
Nous sommes dès lors déliés tous deux de nos engagements.

LA DUCHESSE
Avez-vous respecté les vôtres jusqu'à ce jour ?

LE DUC
Oui, Madame.

LA DUCHESSE
Vous l'entendez, ma tante, et vous témoignerez de ceci.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Mais, Monsieur, n'avez-vous jamais pensé que Louise est innocente ?

LE DUC
Mademoiselle de Vaudrey, vous devez le croire, vous ! Et que ne donnerai-je pas pour avoir cette opinion ? Madame a eu vingt ans pour me prouver son innocence.

LA DUCHESSE
Depuis vingt ans, vous frappez sur mon cœur, sans pitié, sans relâche. Vous n'étiez pas un juge, vous êtes un bourreau.

LE DUC
Madame, si vous ne me remettez cet acte, votre Fernand aura tout à craindre. À peine rentrée en France, vous vous êtes procuré cette pièce, vous voulez vous en faire une arme contre moi. Vous voulez donner à votre fils un nom et une fortune qui ne lui appartiennent pas ; vous voulez le faire entrer dans une famille où la race a été conservée pure jusqu'à moi par des femmes sans tache, une famille qui ne compte pas une mésalliance…

LA DUCHESSE
Et que votre fils Albert continuera dignement.

LE DUC
Imprudente ! vous excitez de terribles souvenirs. Et ce dernier mot me dit assez que vous ne reculerez pas devant un scandale qui nous couvrira tous de honte. Irons-nous dérouler devant les tribunaux un passé qui ne me laisse pas sans reproche, mais où vous êtes infâme ? (Il se tourne vers mademoiselle de Vaudrey.)
Elle ne vous a sans doute pas tout dit, ma tante ? Elle aimait le vicomte de Langeac, je le savais, je respectais cet amour, j'étais si jeune ! Le vicomte vint à moi : sans espoir de fortune, le dernier des enfants de sa maison, il prétendit renoncer à Louise de Vaudrey pour elle-même. Confiant dans leur mutuelle noblesse, je l'accepte pure de ses mains. Ah ! j'aurais donné ma vie pour lui, je l'ai prouvé. Le misérable fait, au 10 août, des prodiges de valeur qui le signalent à la rage du peuple ; je le confie à l'un de mes gens ; il est découvert, mis à l'Abbaye. Quand je le sais là, tout l'or destiné à notre fuite, je le donne à ce Boulard, que je décide à se mêler aux septembriseurs pour arracher le vicomte à la mort, je le sauve ! (À madame de Montsorel.)
Et il a bien payé sa dette, n'est-ce pas madame ? Jeune, ivre d'amour, violent, je n'ai pas écrasé cet enfant ! Vous me récompensez aujourd'hui de ma pitié comme votre amant m'a récompensé de ma confiance. Eh bien ! voici les choses au point où elles en étaient, il y a vingt ans — moins la pitié. Et je vous dirai comme autrefois : Oubliez votre fils, il vivra.

MADEMOISELLE DE VAUDREY
Et ses souffrances pendant vingt ans, ne les comptez-vous pour rien ?

LE DUC
La grandeur du repentir accuse la grandeur de la faute.

LA DUCHESSE
Ah ! si vous prenez mes douleurs pour des remords, je vous crierai pour la seconde fois je suis innocente ! Non, Monsieur, Langeac n'a pas trahi votre confiance ; il n'allait pas mourir seulement pour son roi, et depuis le jour fatal où il me fit ses adieux en renonçant à moi, je ne l'ai jamais revu.

LE DUC
Vous avez acheté la vie de votre fils en me disant le contraire.

LA DUCHESSE
Un marché conseillé par la terreur peut-il compter pour un aveu ?

LE DUC
Me donnez-vous cet acte de naissance ?

LA DUCHESSE
Je ne l'ai plus.

LE DUC
Je ne réponds plus de votre fils, Madame.

LA DUCHESSE
Avez-vous bien pesé cette menace ?

LE DUC
Vous devez me connaître.

LA DUCHESSE
Mais vous ne me connaissez pas, vous ! Vous ne répondez plus de mon fils ? eh bien ! prenez garde au vôtre. Albert me répond des jours de Fernand. Si vous surveillez mes démarches, je ferai surveiller les vôtres ; si vous avez la police du royaume, moi, j'aurai mon adresse et le secours de Dieu ! Si vous portez un coup à Fernand, craignez pour Albert. Blessure pour blessure ! Allez !

LE DUC
Vous êtes chez vous, Madame, je me suis oublié. Daignez m'excuser, j'ai tort.

LA DUCHESSE
Vous êtes plus gentilhomme que votre fils ; quand il s'emporte, il ne s'excuse pas, lui !

LE DUC (à part.)
Sa résignation jusqu'à ce jour était-elle de la ruse ? Attendait-on le moment actuel ? Oh ! les femmes conseillées par les bigots font des chemins sous terre comme le feu des volcans ; on ne s'en aperçoit que quand il éclate. Elle a mon secret, je ne tiens plus
son enfant, je puis être vaincu.
(Il sort.)
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