ACTE CINQUIÈME - SCÈNE XIV
(les mêmes, LE DUC, LAFOURAILLE, BUTEUX, SAINT-CHARLES, tous les domestiques.)
LE DUC ( désignant Vautrin.)
Emparez-vous de lui ! (Il montre Saint-Charles.)
et n'obéissez qu'à Monsieur.
LA DUCHESSE
Mais vous lui devez la vie de votre Albert ! Il a donné l'alarme.
LE DUC
Lui !
BUTEUX (à Vautrin.)
Ah ! tu nous as trahis ! pourquoi donc nous amenais-tu ?
SAINT-CHARLES (au duc.)
Vous les entendez, monsieur le duc ?
LAFOURAILLE (à Buteux.)
Tais-toi donc. Devons-nous le juger ?
BUTEUX
Quand il nous condamne.
VAUTRIN (au duc.)
Monsieur le duc, ces deux hommes sont à moi, je les réclame.
SAINT-CHARLES
Voilà les gens de M. Frescas.
VAUTRIN (à Saint-Charles.)
Intendant de la maison de Langeac, tais-toi, tais-toi ! (Il montre Lafouraille.)
Voici Philippe Boulard. (Lafouraille salue.)
Monsieur le duc, faites éloigner tout le monde.
LE DUC
Quoi ! chez moi, vous osez commander ?
LA DUCHESSE
Ah ! Monsieur, il est maître ici.
LE DUC
Comment ? ce misérable !
VAUTRIN
Monsieur le duc veut de la compagnie, parlons donc du fils de dona Mendès…
LE DUC
Silence !
VAUTRIN
Que vous faites passer pour celui de…
LE DUC
Encore une fois, silence !
VAUTRIN
Vous voyez bien, monsieur le duc, qu'il y avait trop de monde.
LE DUC
Sortez tous !
VAUTRIN (au duc.)
Faites garder toutes les issues de votre hôtel, et que personne n'en sorte, excepté ces deux hommes. (À Saint-Charles.)
Restez là. (Il tire un poignard, et va couper les liens de Lafouraille et de Buteux.)
Sauvez-vous par la petite porte dont voici la clef, et allez chez la mère Giroflée. (À Lafouraille.)
Tu m'enverras Raoul.
LAFOURAILLE (sortant.)
Oh ! notre véritable empereur.
VAUTRIN
Vous recevrez de l'argent et des passe-ports.
BUTEUX (sortant.)
J'aurai donc de quoi pour Adèle !
LE DUC
Maintenant, comment savez-vous ces choses ?
VAUTRIN ( rendant des papiers au duc.)
Voici ce que j'ai pris dans votre cabinet.
LE DUC
Ma correspondance et les lettres de madame an vicomte de Langeac !
VAUTRIN
Fusillé par les soins de Charles Blondet, à Mortagne, en octobre 1792.
SAINT-CHARLES
Mais vous savez bien, monsieur le duc.
VAUTRIN
Lui-même m'a donné les papiers que voici, parmi lesquels vous remarquerez l'acte mortuaire du vicomte, qui prouve que madame et lui ne se sont pas vus depuis la veille du 10 août, car il a passé de l'Abbaye en Vendée accompagné de Boulard.
LE DUC
Ainsi Fernand ?
VAUTRIN
L'enfant déporté en Sardaigne est bien votre fils.
LE DUC
Et madame ?…
VAUTRIN
Innocente.
LE DUC
Ah ! (Tombant dans un fauteuil.)
Qu'ai-je fait ?
LA DUCHESSE
Quelle horrible preuve !… mort. Et l'assassin est là.
VAUTRIN
Monsieur le duc, j'ai été le père de Fernand, et je viens de sauver vos deux fils l'un de l'autre, vous seul êtes l'auteur de tout, ici.
LA DUCHESSE
Arrêtez ! je le connais, il souffre en cet instant tout ce que j'ai souffert en vingt ans. De grâce, mon fils ?
LE DUC
Comment, Raoul de Frescas ?…
VAUTRIN
Fernand de Montsorel va venir. (À Saint-Charles.)
Qu'en dis-tu ?
SAINT-CHARLES
Tu es un héros, laisse-moi être ton valet de chambre.
VAUTRIN
Tu as de l'ambition. Et tu me suivras ?
SAINT-CHARLES
Partout.
VAUTRIN
Je le verrai bien.
SAINT-CHARLES
Ah ! quel artiste tu trouves et quelle perte le gouvernement va faire.
VAUTRIN
Allons, va m'attendre au bureau des passe-ports.