ACTE III - SCENE VIII



BARILLON, JAMBART, MADAME JAMBART, VIRGINIE, puis PATRICE, puis BRIGOT.

BARILLON (railleur, à JAMBART. )
Et voilà l'homme qui vous a fait peur! Brigot!

JAMBART
Eh! bien, quoi! Qu'est-ce que c'est que ça, Brigot?

BARILLON
Ça? C'est mon oncle!

JAMBART
Ah, bien! Qu'est-ce que vous voulez? On n'est pas forcé de savoir! Quand on dit Victor Hugo, on sait ce que c'est, mais Brigot!

BARILLON
Et voilà! Parce qu'il y a un homme dans votre chambre, vous avez peur. J'en trouverais dix, moi, dans la mienne! dix! je ne bougerais pas. (Envoyant avec fanfaronnade un coup de poing dans la porte de sa chambre.)
Tenez! Vous me faites pitié!
(Il entre dans sa chambre.)

JAMBART (haussant plusieurs fois les épaules. )
Tenez, regardez, regardez!… (Entre ses dents.)
Fanfaron!
(Il remonte au fond.)

BARILLON (sortant précipitamment et gagnant le milieu de la scène, n° 2. )
Ah! mon Dieu! Il y a un homme dans ma chambre!

MADAME JAMBART et VIRGINIE (reculant à droite. )
Dans votre chambre?

BARILLON (effaré. )
Oui! Je ne sais pas qui!

JAMBART (n° 1, marchant sur BARILLON. )
Eh! bien, eh! bien, je croyais que si vous trouviez dix hommes dans votre chambre, vous n'auriez pas peur!

BARILLON (avec aplomb. )
Dix, non! Mais un! (Suppliant.)
Venez avec moi, Jambart!

JAMBART (peu rassuré. )
Eh! bien, allons!

BARILLON (le suivant. )
Oui. (Revenant à Mme JAMBART.)
Il a au moins six pieds.

JAMBART
Il a six pieds!… C'est beaucoup pour un seul homme. (A BARILLON.)
Venez!… Hein, vous venez?… Allons! (Entre ses dents.)
Capon, va!
(Ils gagnent tous les deux la porte de gauche, premier plan, et se collent au mur chacun de son côté.)

BARILLON (appelant dans la chambre. )
Sortez, monsieur!
(PATRICE sort.)

MADAME JAMBART (n° 4. )
Patrice!

BARILLON (n° 2. )
Vous !

JAMBART (n° 1. )
Qu'est-ce que c'est que celui-là?

PATRICE (n° 3, indiquant VIRGINIE, n° 4. )
Monsieur, j'ai l'honneur de vous demander la main de Mademoiselle Virginie, votre belle-fille.

BARILLON
Encore! Vous avez de l'aplomb! Jamais, monsieur, vous entendez! (Passant an n° 3.)
Sortez, Virginie!

VIRGINIE (sortant par la porte, deuxième plan. )
Oh!

BRIGOT (arrivant de gauche, deuxième plan; il est en robe de chambre et en bonnet de coton. —)
Ah çà!… Qu'est-ce que c'est que ce potin?
(Il descend au n° 3, entre PATRICE et BARILLON.)

BARILLON
C'est monsieur qui a l'audace de poursuivre Virginie jusqu'ici.

BRIGOT (reconnaissant PATRICE)
Lui! (A BARILLON.)
Je te l'avais bien dit qu'il te ferait cornard.

PATRICE
Lui, cornard? Est-ce que c'est sa femme, puisqu'il est avec la mère!

BRIGOT
Hein! avec la mère! Tu es avec la mère?

JAMBART
Mais oui, en attendant.

BRIGOT
Il est l'amant de sa belle-mère! C'est révoltant!

BARILLON
Quelle belle-mère? Ma belle-mère? Elle est morte!
(Il passe au n° 5.)

BRIGOT (n° 3. )
Ta belle-mère?

MADAME JAMBART (n° 4, à BRIGOT. )
J'ai perdu ma mère.
(Elle remonte au fond.)

BRIGOT
Ils deviennent fous!

JAMBART (n° 1. )
Et comment vous appelez-vous, jeune homme?

PATRICE
Patrice Surcouf !

JAMBART
Surcouf, dites-vous? Est-ce que vous descendez du grand marin?

PATRICE
Tout droit!

BARILLON
Oh! en zigzag!

JAMBART
Ça suffit! Virginie est à vous. Je vous la donne.

PATRICE
Ah! monsieur.

BARILLON
Et moi, je la refuse! Ah! c'est trop fort! De quel droit vous mêlez-vous?… (A BRIGOT)
De quel droit se mêle-t-il?

BRIGOT
C'est ce que je me demande. Au fait, qui est-ce?

BARILLON
Mais rien!… C'est le mari de ma femme!

BRIGOT
Le mari de Virginie?

BARILLON
Mais non, de Mme Jambart.

BRIGOT
Alors, c'est ton beau-père.

BARILLON (exaspéré. )
Mais non, puisque c'est ma femme. Ah! et puis, zut!

BRIGOT
Ah! oui, zut, j'y renonce!
(Il sort en désespoir de cause, par la porte de gauche deuxième plan.)

BARILLON (revenant à PATRICE. )
Jamais de la vie, vous m'entendez! Jamais je ne consentirai!

PATRICE (entre BARILLON et JAMBART. )
Mais, monsieur…

JAMBART
Dès demain, monsieur, venez dès demain! (A PATRICE.)
Allez, et comptez sur moi.

PATRICE
Je pars, le cœur content.

BARILLON (il gagne la gauche. )
Partez, mais ne revenez pas.

PATRICE (sur le seuil. )
Ah! je suis bien heureux!
(Tout le monde, à l'exception de BARILLON, l'accompagne pour lui serrer la main. Il sort.)

JAMBART (redescendant. )
Eh! bien, Barillon, voilà comment on fait un mariage! Voyez donc, quelle alliance! Jambart avec Surcouf! (Sentencieusement.)
Eux qui n'avaient jamais pu vivre ensemble.

MADAME JAMBART
Ah! pourquoi?

JAMBART
Parce qu'ils n'étaient pas de la même époque!

BARILLON
Ah! voilà ce dont je me fiche, par exemple! Je suis le beau-père, et je refuse mon consentement.

JAMBART
Et moi aussi, je suis le beau-père! Et depuis plus longtemps que vous!

MADAME JAMBART
Ça c'est vrai!

BARILLON
Possible! Mais tant que je serai le beau-père de Virginie, elle n'en épousera pas d'autre que moi!

JAMBART (s'échauffant. )
C'est ce que nous verrons.

BARILLON (même jeu. )
Oui, nous verrons!

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