ACTE II - SCENE IV
LES MEMES, PLANTUREL
BARILLON (furieux, se précipitant sur PLANTUREL, qui entre du fond. )
Ah ! vous voici, vous !
PLANTUREL (le repoussant, et descendant au n° 3. )
Chut !
BARILLON
Quoi ! "chut", quoi ! "chut!…" C'est vous qui avez fait ce coup-là?
PLANTUREL
Chut !
BARILLON
Oh ! "Chut ! Chut!" Il n'y a pas de "chut!…" Vous croyez peut-être que ça va se passer comme ça ?
PLANTUREL (brusquement. )
Ah ! chut ! je vous dis.
(Il le repousse brutalement. BARILLON va tomber sur le canapé.)
LES DEUX FEMMES
Oh !
PLANTUREL (à part. )
Il faut payer d'audace. C'est un capon, allons-y !
BARILLON
C'est trop fort !… Parce que vous êtes maire, vous abusez de votre privilège pour marier les gens avec leur belle-mère !
PLANTUREL
Oui, ça, c'est convenu. C'est une erreur !
BARILLON
Une erreur ! Je la connais celle-là !… Il n'y a pas de danger que vous l'ayez mariée avec vous !
MADAME JAMBART
Ah ! c'est blessant pour moi, ce que vous dites !
BARILLON
Ah ! Je m'en fiche un peu que ce soit blessant. (A PLANTUREL.)
Mais vous allez voir… !
PLANTUREL
Oui, vous m'attaquerez devant les tribunaux ! Vous essaierez de faire casser le mariage !
BARILLON
Parfaitement !
PLANTUREL
D'abord, qu'est-ce qui vous dit qu'on le cassera, ce mariage ?
BARILLON
Comment ?
PLANTUREL
Eh ! oui, parbleu !… car en somme, quel est le coupable dans tout ça ?… C'est vous !
BARILLON
Moi ?
PLANTUREL
Oui !… Est-ce que vous n'étiez pas à la mairie comme moi ?… Est-ce que vous n'avez pas signé l'acte ?… Quand je vous ai posé les questions d'usage, est-ce que vous n'avez pas répondu "oui"?
VIRGINIE
Ça, c'est vrai !…
BARILLON
Permettez, j'ai répondu "oui"! A ce moment-là, tout le monde parlait à la fois !… J'avais un bandeau qui me bouchait les oreilles. Je ne pouvais pas entendre!
PLANTUREL
Alors, on ne répond pas "oui" quand on n'entend pas !
MADAME JAMBART
C'est évident !…
PLANTUREL
Voulez-vous que je vous dise ?… C'est vous qui serez condamné.
BARILLON
Moi ?…
PLANTUREL
Oui !… parce que je vous attaquerai pour avoir abusé de ma bonne foi.
BARILLON (avec indignation. )
Oh !…
MADAME JAMBART
Parfaitement ! Parfaitement !
BARILLON
Ah ! c'est trop fort !… Eh bien ! nous verrons bien ! Ça m'est égal, je plaiderai tout de même !… et on le cassera, ce mariage !… Et vous aussi, vous serez cassé!
PLANTUREL
Ah ! c'est comme ça !… vous voulez absolument le rompre, ce mariage ?… Eh bien ! je vais vous en donner le moyen… et sans le secours des tribunaux !
BARILLON (avec une lueur d'espoir. )
Vous avez un moyen ?
PLANTUREL
Oui. Vous m'avez provoqué ?… Vous me devez une réparation. Eh bien ! je vous tuerai !…
(Il remonte.)
BARILLON (bondissant. )
Me tuer ?
MADAME JAMBART
Et vous savez, Barillon, il est très fort aux armes !
PLANTUREL
Je vais chercher mes témoins.
BARILLON
Hein ! mais attendez donc !… attendez donc !…
PLANTUREL
Je ne veux rien entendre !… 'BARILLON. Mais si, voyons !… (Très aimable.)
On peut causer !… on peut causer !…
PLANTUREL
Persistez-vous à vous pourvoir en cassation ?
BARILLON
Mais, sacrebleu !… Je ne peux pourtant pas rester le mari de madame Jambart !
MADAME JAMBART (avec une petite moue. )
Oh ! Pourquoi donc ça ?
BARILLON
Ah ! Tiens !
PLANTUREL
Ah ! mais je ne vous y force pas ! si ça ne va pas, vous divorcerez.
BARILLON
Hein, comment, je peux ?… (Lui indiquant le canapé.)
Asseyez-vous donc !
PLANTUREL (s'asseyant sur le canapé à côté de BARILLON; il est toujours n° 3 et BARILLON n° 2. )
Evidemment !… Sans compter que ça ne sera pas plus long !… Cassation ou divorce, c'est le même temps ! Et comme ça, au moins, vous serez comme tout le monde, vous ne serez pas un phénomène ! Le mari de sa belle-mère un veau à deux têtes !
BARILLON (avec une mine de répulsion. )
Ah ! là, un veau !
PLANTUREL
Ça serait ridicule !… tandis que, là, vous divorcez… (Se levant et passant devant Mme JAMBART pour aller au n° 4.)
Eh ! bien, c'est un mari qui ne s'entend pas avec sa femme; cela se voit tous les jours.
MADAME JAMBART
Et… qui vous dit même que nous divorcerons ?
PLANTUREL
Ah ! D'abord !…
BARILLON (à MADAME JAMBART, )
Ah ! bien, ça ! par exemple, je vous en réponds !… Ça n'est pas vous que je voulais épouser, n'est-ce pas ? c'est votre fille !
PLANTUREL
Mais elle est beaucoup trop jeune pour vous !
BARILLON (vexé. )
Ah ! mais dites donc ! c'est mon affaire !
PLANTUREL
Vous auriez l'air d'être son père.
VIRGINIE
Songez que j'ai dix-huit ans !
MADAME JAMBART
Tandis que moi, j'en ai quarante-deux, et vous quarante.
BARILLON
Eh bien ?
MADAME JAMBART
Eh bien ! il y a moins loin de quarante à quarante-deux que de dix- huit à quarante.
BARILLON (passant devant MADAME JAMBART et allant au n° 3. )
Vous avez des raisonnements, vous !
PLANTUREL
Alors, voyons, c'est convenu ?
BARILLON (sur le point de céder. )
Eh bien !… (Se retournant et perdant courage à la vue de Mme JAMBART qui lui fait une mine tendre.)
Eh bien ! non ! non !… Je ne peux pas !… C'est plus fort que moi, je ne peux pas !…
VIRGINIE et MADAME JAMBART
Oh !…
PLANTUREL (faisant mine de remonter. )
Allons ! c'est bien !… Je vous tuerai!
BARILLON
Hein ! non !… eh bien ! si ! si ! là !
(Il tombe effondré sur la chaise à gauche de la table.)
TOUS (triomphant. )
Ah !
PLANTUREL
Allons donc !
MADAME JAMBART (radieuse. )
Ah ! Barillon ! Barillon !… (A VIRGINIE.)
Virginie, embrasse ton beau-père !
(VIRGINIE passe devant MADAME JAMBART et va à BARILLON.)
BARILLON (à VIRGINIE qui veut l'embrasser. )
Beau-père ! Ah ! non, pas ça ! pas ça ! c'est trop !
PLANTUREL (serrant la main de BARILLON et remontant. )
Allons, Barillon, vous me devez votre bonheur. (Saluant Mme JAMBART.)
Madame Barillon, votre serviteur!…
(Il sort par le fond.)