ACTE I - SCENE X
PLANTUREL, FLAMECHE, BRIGOT.
PLANTUREL
Mais qu'est-ce qu'ils ont? (Apercevant BRIGOT qui, l'épée à la main, philosophiquement s'escrime contre le mur.)
Ah! le Maître d'armes! (A BRIGOT.)
Vous voilà, vous? C'est bien!
BRIGOT
"C'est bien!" Il est bon, lui ! Voilà une demi-heure que j'attends!
(FLAMECHE sort.)
PLANTUREL
Ne perdons pas de temps! Enlevez votre redingote!
BRIGOT (ahuri. )
Hein?
PLANTUREL (d'un ton un peu impérieux. )
Oui!… Enlevez votre redingote.
BRIGOT
Pardon! Mais pourquoi voulez-vous?…
PLANTUREL (même jeu. )
Enlevez-la !… J'enlève la mienne.
(Il enlève sa redingote.)
BRIGOT
Ah!
(Il repose les épées et enlève sa redingote.)
PLANTUREL (prenant une épée. )
Là ! Et maintenant, nous allons commencer.
BRIGOT (faisant demi-tour comme pour aller à droite. )
C'est ça! Je vais appeler les autres !
PLANTUREL (l'arrêtant. )
Qui ça?
BRIGOT
Eh! bien, la noce qui attend par là!
PLANTUREL
Mais non ! Laissez-la ! Nous n'avons pas besoin d'eux !
BRIGOT (à part. )
Quelle drôle de façon de marier!
PLANTUREL (lui indiquant l'épée restée libre. )
Tenez, prenez votre épée.
BRIGOT
Mais je n'en ai pas besoin!
PLANTUREL
Mais si ! Je ne peux pas croiser le fer tout seul. Allons, mettons-nous en garde.
(Il se met en garde.)
BRIGOT (se mettant en garde, absolument ahuri. )
Ah! mon Dieu! Est-ce que le maire deviendrait fou?
PLANTUREL (n° 1. )
Et maintenant, qu'est-ce qu'il faut faire ?
BRIGOT (n° 2, battant le fer de PLANTUREL, et pivotant pour aller retrouver BARILLON. —)
Eh! bien, il faut appeler la noce!
PLANTUREL
Mais non ! (A part.)
Est-il embêtant avec sa noce ! Il lui faut une galerie, à lui!(Haut.)
Restez donc!
BRIGOT (qui n'y comprend goutte. )
Oui!
(Ils croisent le fer.)
PLANTUREL
Et maintenant, vous allez m'indiquer la botte de Nevers !
BRIGOT
La botte de Nevers ? (Battant le fer de PLANTUREL.)
Ah, çà ! dites donc! Est-ce qu'elle n'est pas bientôt finie, cette histoire-là? Je ne suis pas venu ici pour croiser le fer.
(Il dépose son épée sur la banquette.)
PLANTUREL
Comment?
BRIGOT
Je suis témoin dans la noce de Barillon.
PLANTUREL
Hein ! Vous n'êtes pas maître d'armes ?
BRIGOT
Moi? (Soulevant son chapeau.)
Je suis vétérinaire, à Troyes.
PLANTUREL
Mais alors, vous n'êtes pas celui que j'attendais! (Lui passant un bras autour du cou et confidentiellement.)
Oh! parce que je veux bien vous dire ça à vous seulement, je vous en prie, n'en parlez pas, parce que je ne veux pas que ça se sache; j'ai une affaire!
BRIGOT
Allons donc! Mais alors, c'est le jour.
PLANTUREL
C'est pour cela que je vous demandais de m'enseigner un coup.
BRIGOT
Un coup? Est-ce que je sais des coups! Ah! si, au fait, j'en ai connu un, moi, autrefois, attendez donc, comment était-ce?
PLANTUREL (qui a toujours son épée. )
Ah! monsieur, cherchez, dites-le moi !
BRIGOT
Oui, voilà, on se place…
PLANTUREL (lui indiquant l'épée sur la banquette. )
Oui, prenez votre épée.
BRIGOT
Non! Ce n'est pas la peine.
PLANTUREL
Si, je comprendrai mieux.
BRIGOT (prenant l'épée. )
Si vous voulez. Voilà!… On se place…
PLANTUREL (croisant le fer avec BRIGOT. )
Oui.
BRIGOT
Une fois placé, on s'efface bien!
PLANTUREL (s'effaçant. )
Oui.
BRIGOT
Et au commandement de "feu"!
PLANTUREL (restant en suspens, )
Hein ? Comment, au commandement de "feu!"
BRIGOT
Oui!… Mon coup est au pistolet!
PLANTUREL
Mais alors, qu'est-ce que vous fichez avec votre épée?
BRIGOT
Mais je vous ai dit qu'elle était inutile! Et puis après tout, je ne suis pas là pour vous donner des leçons d'armes!
PLANTUREL
Mais, monsieur…
BRIGOT (passant sa redingote. )
C'est bien ! Je suis venu ici pour marier mon neveu… Il est midi, je vais appeler la noce!
PLANTUREL (à part. )
Que le diable l'emporte avec sa noce! (A BRIGOT.)
C'est ça, prévenez- la, moi, je vais ceindre mon écharpe.
(Il sort à gauche en emportant sa redingote et les épées.)