ACTE III - SCENE PREMIERE


A Bois-Colombes. Un salon de campagne (mobilier japonais)
. Grande baie vitrée, au fond, donnant sur un jardin. A gauche, premier plan, chambre de BARILLON. A droite, premier plan, celle de JAMBART Au deuxième plan, à gauche, porte donnant sur les dépendances de la maison. — A droite, deuxième plan, chambre de Mme JAMBART. De chaque côté de la baie du fond, une chaise en bambou. Au fond également, à gauche de la baie, et après celle-ci, une grande table en bambou. A droite de la baie, et après la chaise, une console japonaise. Entre les deux portes de gauche, ainsi qu'entre les deux portes de droite, meubles japonais surmontés de lampes allumées. Sur le devant de la scène, de chaque côté, fauteuil en bambou.


URSULE PLANTUREL

PLANTUREL (entrant du fond, introduit par URSULE. )
Alors, ils ne sont pas là ?

URSULE
Non, monsieur, madame et messieurs ses maris sont sortis.

PLANTUREL
C'est embêtant ! Et, dites-moi, vous n'avez pas reçu une dépêche pour moi ?

URSULE
Ici, à Bois-Colombes ?

PLANTUREL
Oui, comme j'avais l'intention, en revenant de Mantes, de m'arrêter à Bois- Colombes, j'avais dit qu'on me télégraphiât ici.

URSULE
Il n'est rien arrivé, monsieur.

PLANTUREL
Diable ! alors l'affaire ne sera pas venue aujourd'hui.

URSULE
Quelle affaire ?

PLANTUREL (n° 1. )
Eh ! bien, la cassation du mariage !

URSULE (n° 2. )
Je crois que monsieur se trompe, car ici on n'attend la solution que pour jeudi prochain.

PLANTUREL (s'asseyant sur le fauteuil gauche. )
Dans huit jours ? Allons, ça va bien! Mais, dites-moi, quelle diable d'idée avez-vous eue de venir vous enterrer à Bois-Colombes ?

URSULE
Oh ! pardon ! je vous prie de croire que je n'y suis pour rien !

PLANTUREL
Je le pense bien; mais enfin, au milieu d'avril, et par le froid qu'il fait, c'est un fichu goût de venir geler à la campagne.

URSULE
Dame ! Monsieur, nous y avons été forcés; on nous a fait une telle vie à Paris !…

PLANTUREL
Comment ça ?

URSULE
Après le retour de M. Jambart, n'est-ce pas? quand il a trouvé sa femme mariée à M. Barillon.

PLANTUREL
Il a voulu tout tuer !…

URSULE
Oui ! Eh ! bien, il n'a rien tué du tout ! Seulement, comme ils se trouvaient tous les deux également les maris de Mme Jambart, ils ont pris le parti, jusqu'à ce que le second mariage fût cassé, d'attendrie tous les trois ensemble.

PLANTUREL
Tous les trois ensemble ?

URSULE
Ça vous paraît drôle, hein ?… Ils ont trouvé plus sage et plus commode d'entrer en conciliation.

PLANTUREL
Alors, c'est un mariage en société ?

URSULE
Voilà ! Seulement, ils ont posé des conditions.

PLANTUREL
C'est ça !… Ils ont fait des statuts !

URSULE (qui ne comprend pas. )
Des statues ? oh ! non, monsieur, ils ne savent pas.

PLANTUREL (passant au n° 2. )
Oui, vous avez raison. (A part.)
Faites donc de l'esprit !… des perles aux…

URSULE
Monsieur ?…

PLANTUREL
Rien ! Mais tout cela n'explique pas votre fuite de Paris!

URSULE
Et l'opinion publique, monsieur ! Le bruit de ce mariage légitime à trois n'a pas tardé à se répandre dans le quartier. Dès le lendemain, le fruitier, monsieur, m'a dit : "C'est dégoûtant!"

PLANTUREL
Comment, il a dit ça, le fruitier ?

URSULE
Oui, monsieur! et un beau matin, le propriétaire nous a donné congé. Il nous a fait dire qu'il ne louait pas ses appartements à des Orientaux.

PLANTUREL
Et c'est pour cela que vous avez loué ici, à Bois-Colombes. Y êtes-vous plus tranquilles, au moins ?

URSULE
Ah ! bien, oui ! il y a huit jours que nous y sommes, et l'on nous montre déjà du doigt. Madame et messieurs ses maris ne peuvent plus mettre les pieds dehors sans être suivis par les gamins. On a même fait une chanson sur eux !

PLANTUREL
Une chanson ?

URSULE
Oui, monsieur.(Chantant.)
"Y a des femmes qui "S' content' d'un mari, "Titin' qui s'fich' pas mal du code "Trouv' que d'en avoir deux, c'est beaucoup plus commode. "Elle a z'un' jambe dans un lit "Et l'aut' dans l'aut' lit. "C'est l'coloss' de Rho-o-o-o-odes."

PLANTUREL
Elle est bien bonne!

URSULE
Parbleu !… C'est la chanson à la mode. Enfin, c'est encore pire qu'à Paris. Aussi j'en ai plein le dos de leur baraque et je vais me chercher une place. PLANTUREL. Fi. au milieu de tout ça, quelle tête fait Mme Jambart entre ses deux maris?

URSULE
Quelle tête ? Eh ! bien, elle en fait une !… Pensez donc !… avoir deux maris et ne pouvoir être la femme d'aucun, c'est raide !

PLANTUREL
Si l'on peut dire!… Et M. Jambart n'a pas repris ses droits?

URSULE
Mais non, monsieur ! justement, c'est dans les conditions ! Vous comprenez, elle est aussi bien la femme de l'un que de l'autre. (Mettant ses poings sur les hanches.)
Eh bien ! si elle devient la femme de l'un, qu'est-ce que devient l'autre ? Hein ?…

PLANTUREL
Eh ! bien, il le devient !…

URSULE
Voilà !… Monsieur a le mot pour rire.

PLANTUREL
Avec tout ça, ils ne rentrent pas. Où sont-ils donc ?

URSULE
Au Théâtre de Bois-Colombes. Il y a une troupe de passage et le directeur a envoyé une avant-scène à madame. C'est le premier homme aimable que nous ayons rencontré.

PLANTUREL
Ça va finir tard ?

URSULE
Oh! attendez-les cinq minutes. (Bruit de cloche.)
Tenez! c'est peut-être eux. Je cours leur ouvrir !
(Elle sort.)

PLANTUREL
Oui. Allez. (Remontant et regardant au fond.)
Non ! ça n'est pas eux, c'est un homme !

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