ACTE I - SCENE VI



LES MEMES, moins PATRICE

MADAME JAMBART
Mon gendre! du calme! Voyons, du calme!
(BARILLON épuisé s'est laissé tomber sur la banquette, Mme JAMBART tout émue lui saute au cou.)

BARILLON
Mais, laissez-moi donc tranquille, vous, avec vos embrassades ! (Avec rage.)
Et elle l'aime ! Elle l'aime !

MADAME JAMBART
Eh bien ! mon Dieu, ça passera !
(Elle passe au 4.)

BRIGOT (n° 1. )
Et puis, en somme, de quoi te plains-tu ? Ce qu'on demande dans le mariage, c'est une femme aimante. Eh ! bien, si elle l'aime, c'est qu'elle a le cœur aimant.

BARILLON (n° 2. )
Ah ! vous trouvez, vous !… Enfin, qu'est-ce que c'est que ce garçon-là ?

MADAME JAMBART (à VIRGINIE. )
Oui, au fait, où l'as-tu connu ?

VIRGINIE (n° 3. )
Mais tu le sais bien, maman, c'est M. Patrice Surcouf.

MADAME JAMBART
Surcouf ? J'ai déjà entendu ce nom-là quelque part.

BARILLON (avec raillerie. )
C'est un corsaire, ça ?

VIRGINIE
C'est ce monsieur si aimable qui a dansé avec moi au bal de l'Elysée et qui a trouvé moyen de t'avoir une glace au buffet.

BRIGOT
Fichtre ! c'est un débrouillard !

MADAME JAMBART
Comment, c'est lui ?… Ah ! mais vous savez, Barillon, il est très gentil, il est très gentil !

BARILLON (avec dépit. )
Comment donc, il est charmant !

VIRGINIE
Et alors, depuis, je l'ai revu tous les jours.

MADAME JAMBART
Où ça ?

VIRGINIE
A mon cours de solfège. Pour se rapprocher de moi, il a appris à chanter.

MADAME JAMBART (se pâmant. )
Ah ! c'est d'un romanesque !

BARILLON (rageant )
Non ! Mais continuez donc ! Continuez donc !

VIRGINIE
Et alors, nous nous étions promis le mariage.

BARILLON (id. )
C'est ça ! Mais continuez donc !…

BRIGOT
Voyons ! Calme-toi ! calme-toi !

MADAME JAMBART (passant au 3. )
Mais oui, voyons. (Tapant sur les joues de BARILLON)
Oh ! qu'il est gentil quand il est en colère… ! Tiens !…
(Elle l'embrasse en se pendant à son cou.)

BARILLON
Oui, c'est bon ! c'est bon ! c'est bon ! (A part.)
Ah ! rasoir, va !

MADAME JAMBART
Ah ! Barillon, c'est un vrai cadeau que je vous fais ! Ça me rappelle le jour où je me suis mariée pour la première fois. (A VIRGINIE.)
C'était avec ton père, la première fois, ce brave Pornichet !… Je l'ai rendu bien heureux !

BARILLON
Eh ! bien, tant mieux pour lui !

MADAME JAMBART
Mon second mari aussi, d'ailleurs ! ce brave Jambart ! Je l'ai rendu bien heureux. J'ai tendu tous mes maris heureux !

BARILLON
Eh ! bien, oui ! Tant mieux pour eux !

MADAME JAMBART
Elle sera comme moi, elle rendra tous ses maris heureux. N'est-ce pas, fillette ?

BARILLON (faisant une tête. )
Hein !

VIRGINIE
Je tâcherai, maman !

BARILLON
Eh ! bien, vous êtes gaie, vous ! Tous ses maris !

MADAME JAMBART
Ce n'est pas ce que je veux dire. Oh ! non ! car je lui souhaite plus de chance qu'à moi ! Dieu merci, je ne voudrais pour rien au monde la voir devenir veuve.

BARILLON (avec conviction. )
Mais ni moi non plus.

MADAME JAMBART
Si vous saviez ce que c'est dur quelquefois, le veuvage! Mon second mari était pourtant bien solide. C'est son nom qui l'a perdu.

BARILLON
Comment, son nom! Emile Jambart?

MADAME JAMBART
Oui, il s'appelait Jambart. Alors il m'a dit : (Avec l'accent marseillais.)
"Quand on s'appelle Jambart, on doit être marin." Et il s'est fait capitaine au long cours… pour la pêche à la morue. (Etourdiment.)
Ah! Barillon, n'épousez jamais un marin.

BARILLON
Tiens, parbleu !

MADAME JAMBART
Nous avons été mariés une nuit. Le lendemain, on lui signalait un passage de morue à Terre-Neuve…

BARILLON
…Et il vous a lâchée pour les morues.

MADAME JAMBART
Hélas! Il y a deux ans de cela. Le navire qui le portait fit naufrage sur les bancs de Terre-Neuve, et depuis on ne l'a plus revu.

BARILLON (distraitement. )
N'en parlons plus! N'en parlons plus! Après tout, nous sommes ici pour nous marier, eh! bien, qu'on nous marie enfin! Qu'est-ce qu'on attend? (A FLAMECHE qui entre du fond avec un registre sous le bras.)
Ah! L'employé! Qu'est-ce que vous avez fait de votre maire?

FLAMECHE (qui ne comprend pas. )
Ma mère?
(Il descend au 2.)

BARILLON (n° 3. )
Eh ! non ! Je ne parle pas de votre mère, je parle de votre maire.

FLAMECHE (même jeu. )
Je ne parle pas de votre mère, je parle de votre maire !

BARILLON
Eh! bien, oui! enfin, le maire, où est-il?

FLAMECHE
Ah! M. le Maire! je ne sais pas, il devrait être ici. Je me demande même s'il ne lui est pas arrivé quelque chose.

BRIGOT (n° 1. )
On ne vous demande pas ce que vous vous demandez ! Vous êtes toujours à faire des phrases.

FLAMECHE
Ce qu'il est grincheux, cet homme-là.
(Il remonte jusqu'au fond à gauche.)

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