ACTE III - SCENE X
LES MEMES, BRIGOT, puis JAMBART et MADAME JAMBART
BRIGOT (entrant de gauche, deuxième plan. )
Ah ! décidément, il n'y a pas moyen de fermer l'œil, ici !
BARILLON
Ah ! mon oncle ! venez ! Jambart est là-dedans avec Frédégonde.
BRIGOT
Eh ! bien, qu'est-ce que ça te fait ? Tu le savais bien.
BARILLON
Mais, voyons, il est avec ma femme !
BRIGOT
Allons, bon ! Voilà que c'est ta femme, maintenant !… Eh ! bien, et lui ?
BARILLON
Eh ! lui, il est garçon ! Planturel, allez me chercher une pioche, un marteau.
PLANTUREL
J'y cours.
BARILLON (à BRIGOT. )
Et vous, frappez avec moi. (Ils frappent tous deux.)
Je vais enfoncer la porte!
JAMBART (sortant en manches de chemise, il a sa vareuse sous le bras. )
Ah çà ! vous n'avez pas fini ?
BARILLON (lui sautant à la gorge et le faisant descendre en scène. )
Tu oses te plaindre !
JAMBART
Qu'est-ce qui vous prend ?
MADAME JAMBART (entrant en peignoir, une peu décoiffée et les vêtements en désordre. —)
Vous devenez fou ?
BARILLON
Ce qui me prend ? Lisez cet acte !… ce n'est pas mon mariage qu'on a cassé, c'est le vôtre !
JAMBART et MADAME JAMBART
Hein?
(Mme JAMBART tombe assise sur le fauteuil de droite, se cachant la figure dans son mouchoir.)
BARILLON
Ce n'est pas vous, le mari! C'est moi!
JAMBART (déposant sa vareuse sur le dossier du fauteuil de gauche. )
Vous? Mais alors…
BARILLON (brusquement à JAMBART. )
Emile!… Je vous en prie, soyez franc! Je ne vous en voudrai pas! Avez-vous ouvert… avant?
JAMBART
Vous dites?
BARILLON
Oui, enfin, suis-je à plaindre?
JAMBART (le dos tourné au public, tendant sa main droite à BARILLON, et avec effort. )
Ah! mon pauvre ami.
BARILLON (faisant une tête. )
Oh!
(Moment de silence.)
BRIGOT (qui ne comprend rien. )
Ils me font pitié!
JAMBART (brusquement redescendant au n° 2. )
Allons! Il ne me reste qu'à prendre congé de vous.
TOUS
Comment?
JAMBART
Après ce qui s'est passé, je n'ai pas le droit de demeurer une nuit de plus sous ce toit.
MADAME JAMBART
Vous partez?
JAMBART
Oui, adieu.
(Il met sa casquette et fait mine de sortir.)
BARILLON (d'une voix déchirée. )
Jambart!
JAMBART
Quoi?
BARILLON (lui passant sa vareuse. )
Mettez au moins votre vareuse!
JAMBART
Merci!
MADAME JAMBART
Et où allez-vous?
JAMBART
Dans mon île; mais, de cette île, je ne vous perdrai pas de vue.
BRIGOT
Il a de bons yeux.
JAMBART
Je ne vous oublierai jamais!
BARILLON (qui est allé chercher son portrait sur le petit meuble entre les deux portes de gauche, très ému. )
Emile!… voici mon portrait.
JAMBART (avec émotion. )
Ah! merci. (Il l'embrasse.)
Je vous enverrai le mien. (A Mme JAMBART qui pleure à chaudes larmes.)
Ne pleurez pas, Frédégonde.
MADAME JAMBART (n° 3, éclatant et se précipitant dans les bras de JAMBART. )
Emile!(Puis entre deux sanglots.)
Et votre phoque?
JAMBART (grand et généreux. )
Je vous le laisse.
BARILLON (avec conviction. )
Ah! non, emportez-le, je vous en prie, emportez-le !
JAMBART
Mais je voudrais bien embrasser notre enfant, votre, notre, enfin, comme vous voudrez.
MADAME JAMBART
Virginie ! Virginie !