La salle des mariages à la mairie. Au- fond, l'estrade du maire. A droite et à gauche de l'estrade, et également au fond, grandes portes donnant, celle de gauche sur les bureaux de la mairie, celle de droite sur l'extérieur. Grande porte d'entrée à droite premier plan. Une grande baie vitrée occupe le côté gauche. Face à l'estrade, et dos au public, les deux fauteuils des mariés. A un mètre des deux fauteuils et également face à l'estrade, une banquette en velours rouge. De chaque côté des deux fauteuils, de profil au public, deux rangées de chaises en velours pour les invités. Sur la table qui se trouve sur l'estrade, registres, codes, etc…
FLAMECHE (debout sur l'estrade, un plumeau à la main, et chantant à pleine voix la cavatine de Lucie. )"O bel ange, ô ma Lucie, "O bel ange, ô ma Lucie !"
(Il se poignarde avec son plumeau.)TOPEAU (qui est entré de gauche et qui l'a écouté avec admiration, applaudissant. )Bravo ! bravo !
FLAMECHEVous, monsieur Topeau, vous m'écoutiez ?
TOPEAU (descendant par la gauche. )Je ne vous écoute pas, monsieur Flamèche… je vous aspire !… Ah ! quelle voix !
FLAMECHE (descendant par la droite. )Vous trouvez ?
TOPEAUCertes ! et en fait de voix, je m'y connais ! Je peux dire que la musique, je l'ai sucée à la mamelle… à la mamelle de mon père…
FLAMECHEIl était musicien ?
TOPEAUIl était organiste.
FLAMECHEDe chapelle ?
TOPEAUNon…, de Barbarie !
FLAMECHEAh ! vous m'en direz tant.
TOPEAUMais comment, avec votre voix, ne vous êtes-vous pas présenté à l'Observatoire ?
FLAMECHEA l'Observatoire ?
TOPEAUOui, à l'Observatoire de Musique.
FLAMECHEAh ! le… On dit plutôt "Conservatoire". Eh bien ! mais je m'y suis présenté. Le directeur, un homme très aimable, m'a fait chanter un air… Il a été très frappé.
TOPEAUÇa ne m'étonne pas !
FLAMECHESeulement, il m'a dit : "On n'arrive pas comme ça du premier coup au théâtre !… Il faut faire un stage."
TOPEAUOui.
FLAMECHEEt il m'a placé ici, dans cette mairie, comme garçon de salle.
TOPEAUOui!… il vous a fait entrer dans le corps de balai.
(Ils rient.)FLAMECHEVoilà!… Mais j'ai la vocation, et j'arriverai! Tenez, si vous m'entendiez dans ma chanson bachique.
TOPEAUUne chanson pas chic?
FLAMECHENon, bachique! c'est une chanson à boire.
(Chantant.) Vive le vin, Vive ce jus divin…
TOPEAU (passant au 2. )Ah! pas de chanson à boire. Toutes les chansons bachiques que vous voudrez, mais pas de chanson à boire.
FLAMECHEPourquoi?
TOPEAUOh! parce que maintenant, quand on parle de boire, je m'en vais!
FLAMECHETiens ! Je croyais que d'ordinaire, vous arriviez.
TOPEAUOui !… mais plus maintenant. Ça joue de trop mauvais tours ! Il faut vous dire que par nature, je suis un peu…
FLAMECHE (qui est remonté légèrement au fond, à gauche. )Pochard!
TOPEAUNon, mais enfin, j'ai… j'ai le vin facile, et dans ces moments-là, ce n'est pas que je voie double, mais je vois de travers!… Vous comprenez comme c'est grave pour un employé.
FLAMECHEOui, ça vous fait faire des gaffes?
(Il redescend.)TOPEAUTout le temps!… Ainsi, vous ne savez pas pourquoi M. le Maire m'a attrapé comme
(ça hier?)FLAMECHENon.
TOPEAU (se tordant de rire au souvenir de ce qu'il raconte. )Vous vous rappelez ce monsieur que vous m'avez amené qui demandait un certificat de vie pour toucher un héritage?
FLAMECHEOui!
TOPEAUEh bien, je lui ai délivré un acte de décès!
FLAMECHEAllons donc !
TOPEAUVous voyez la tête du bonhomme quand il est venu pour toucher son héritage! On lui a dit que les décédés n'héritaient pas.
FLAMECHE (remontant au fond à gauche pour ranger les chaises. )Evidemment!… quand on est feu, on est flambé!… Eh bien! vous en faites de bonnes, vous!
TOPEAUOui. Et qu'est-ce que j'avais bu, je vous le demande ?… Une demi-bouteille!
FLAMECHEComment, pour une demi-bouteille?
TOPEAU…De cognac, oui!
FLAMECHEAh! vous m'en direz tant.
TOPEAUAussi, je ne veux plus entendre parler de boire!… Même en chantant!… Mais si vous avez un autre air dans votre répertoire!…
FLAMECHEMon Dieu! je n'ai rien!… Ah! si!… Tenez, si vous voulez me rendre un service, faites-moi répéter mon grand air de Roméo.
(Allant prendre une partition sur le bureau du, maire et redescendant au n° 2.) Voici la partition!… Vous êtes Juliette!
TOPEAU (n° 2, s'asseyant sur la banquette. )Je suis Juliette?
FLAMECHEOui.
TOPEAUC'est que… je ne l'ai jamais joué!
FLAMECHEÇa ne fait rien ! Vous n'avez qu'à lire.
(Chantant.) "Ecoute Juliette, "L'alouette déjà nous annonce le jour!"
(Parlé.) A vous!
TOPEAUAh! c'est à moi?… Mais c'est que je ne sais pas l'air.
FLAMECHEIl y a les notes.
TOPEAUOui, je vois bien qu'il y a les notes, mais il n'y a pas l'air.
FLAMECHEOui !… Eh ! bien, ça ne fait rien, chantez sur l'air que vous voudrez. Je reprends.
(Chantant.) "Ecoute Juliette, "L'alouette déjà nous annonce le jour!"
TOPEAU (chantant sur l'air "En r'venant de la Revue".)"Oui, tu dis vrai, c'est le jour ! "Fuis! Il faut quitter ta Juliette."