ACTE III - SCENE VI
BARILLON JAMBART
JAMBART ayant remarqué que BARILLON fume une cigarette, renifle avec affectation. BARILLON voyant son jeu, fait exprès de lui envoyer la fumée dans le nez.
JAMBART (toussant. )
Hum!… hum!…
BARILLON (n° 1. )
Qu'est-ce que vous avez? Vous êtes enrhumé?
JAMBART (tirant une pipe "brûle-gueule" de sa poche et la mettant à la bouche. )
Non, c'est l'odeur de votre tabac d'Orient qui me tourne sur le cœur.
(Il tire une blague à tabac de son autre poche et bourre sa pipe.)
BARILLON
Eh! bien, alors, pourquoi fumez-vous la pipe?
JAMBART
C'est pour faire passer l'odeur.
BARILLON
Je croyais que vous n'aimiez pas la fumée?
JAMBART (bourrant sa pipe. )
J'aime la fumée de ma pipe! Au moins c'est du tabac français, du tabac patriotique.
BARILLON (assis dans le fauteuil gauche. )
Oh! là là!
JAMBART (remontant au fond. )
Oui, monsieur, je n'enrichis pas les Turcs, moi!
BARILLON
Oh! ça, c'est une trouvaille! Regardez-moi, je vous en prie! Est-ce que j'ai l'air d'un homme qui enrichit les Turcs?
JAMBART
Parlez-moi d'une bonne pipe, au grand air!
(Il ouvre la porte de la baie vitrée et allume sa pipe dehors.)
BARILLON (sentant le froid. )
Eh ! là-bas, eh, je vous en prie! L'air n'est pas si chaud ce soir!
JAMBART (tout en allumant. )
Laissez donc! Nous autres marins, nous aimons à respirer l'air de la mer! Voilà ce qui vous donnerait des poumons, au lieu de vous en faire en coton, comme une mouche!
BARILLON (haussant les épaules. )
"Coton! Comme une mouche!" Quelle comparaison !
JAMBART
Respirer à pleine poitrine un bon air vivifiant, les bonnes odeurs de la mer.
BARILLON (se levant et allant lui-même fermer la porte. )
Oui! Mais c'est que près de Paris, les odeurs ne sentent pas la mer.
JAMBART (se dirigeant vers la droite, premier plan. )
Allons! Vous allez nous faire crever dans le renfermé, j'aime mieux me retirer! Vous voyez ! C'est moi qui cède, comme toujours !
BARILLON
Ourson, va!
JAMBART
Allons, bonsoir, je vais me coucher!
BARILLON
C'est ça! Allez vous coucher. (Entre ses dents.)
Allez coucher.
JAMBART
Quand j'ai mangé, il faut que je dorme!
(Il rentre chez lui.)
BARILLON
Et quand il a dormi, il faut qu'il mange! Quelle existence? (Il hume l'air.)
Ouff!… Comme ça sent mauvais ici! Il a empesté l'appartement avec sa pipe!
(Il rouvre la fenêtre du fond.)