ACTE I - SCENE XVI



LES MEMES, PATRICE, accourant de droite.

PATRICE
Arrêtez ! Arrêtez !

TOUS
Qu'est-ce qu'il y a ?

BARILLON
Lui ! encore !

PLANTUREL (au milieu du tumulte général. )
Pardon, mon ami, qu'est-ce qu'il y a?

PATRICE (à l'extrême droite. )
Je mets une opposition au mariage.

PLANTUREL
Une opposition ?

PATRICE
Mademoiselle ne peut pas épouser monsieur !

TOUS
Hein !

PLANTUREL
Pourquoi ?

PATRICE
Parce que je l'aime et qu'elle m'aime !

BARILLON (voulant s'élancer sur PATRICE, mais étant arrêté par ses voisins. )
Tu oses dire, misérable !
(PATRICE qui a vu le mouvement de BARILLON a gagné vivement l'extrême gauche.)

PLANTUREL
Ce n'est pas une opposition ! Je n'ai pas à entrer dans ces considérations-là ! La future n'a qu'à refuser.

TOUS
Oui ! oui ! c'est évident.

PATRICE
C'est trop fort !…

PLANTUREL (à BARILLON. )
Jean, Gustave Barillon, consentez-vous à prendre pour femme…
(Le reste de la phrase se perd dans la confusion des voix.)
(ENSEMBLE)

BARILLON
Oui, oui, certainement, j'y consens.

PATRICE
Non ! 'non !

TOUS
Si ! si !
(Il est essentiel qu'à ce moment le brouhaha soit aussi bruyant que possible et qu'il dure assez de temps pour laisser à PLANTUREL celui de poser la question d'usage de façon à ce que le public se rende compte que le maire prononce bien cette question sans que pourtant il lui soit possible à lui de la distinguer. Le tumulte ne devra donc cesser que lorsque le maire aura imposé silence en frappant violemment sur sa table, et en disant: )

PLANTUREL
Mais taisez-vous donc ! il n'y a pas moyen de marier comme ça ! (A BARILLON)
Alors, vous consentez ? (Geste affirmatif de BARILLON.)
Bien ! (A VIRGINIE.)
A vous ?
(Il pose la question à VIRGINIE et on n'entend pas sa voix, dominée qu'elle est par la voix de PATRICE et des autres. Pendant que le maire pose la question à VIRGINIE, même observation que pour la précédente question.)
(ENSEMBLE :)

PATRICE (à VIRGINIE, de loin. )
Dites non ! dites non !

BARILLON
Voulez-vous vous taire ?

TOUS
Assez ! assez !

VOIX DE PLANTUREL (dominant le tumulte. )
…A prendre pour époux M. Gustave Barillon ?(ENSEMBLE :)
@PATRICE Non ! non !

TOUS
Si ! si !

PLANTUREL
Mais taisez-vous donc, à la fin !

BRIGOT
Quel mariage ! mon Dieu ! quel mariage !

PLANTUREL (à VIRGINIE. )
Eh ! bien, vous consentez ?

VIRGINIE
Oui, monsieur le maire.

TOUS (avec joie. )
Ah !

PATRICE (avec rage. )
Ah !

PLANTUREL
Au nom de la loi, je vous déclare unis par le mariage.

BARILLON
Ah ! enfin !

PATRICE (avec désespoir. )
Tout est perdu !

FLAMECHE (aux mariés et aux témoins. )
Si vous voulez signer !

BARILLON
Je crois bien que nous voulons signer !
(Tout le monde signe. La noce se retire par la droite.)

PLANTUREL (du haut de son estrade et pendant qu'on signe. )
Midi et demi ! Et toujours pas de témoins ! S'ils pouvaient ne pas venir !… Mon adversaire était si pochard !… Il a peut-être oublié qu'il m'a giflé !

BARILLON (descendant par la droite et allant à PATRICE qui s'est effondré sur une chaise à l'extrême gauche. )
Et maintenant, à nous deux ! Est-ce que vous croyez que vous allez comme
(ça longtemps troubler ma vie ?)

PATRICE
Ah ! si vous croyez que vous me faites peur ! (Dispute. On les entoure. Tumulte au milieu duquel on distingue ces mots : "Arrêtez-le ! Il va le tuer ! Maman ! Maman ! Animal ! Sacripant !")
(BARILLON et PATRICE dans leur lutte à bras-le-corps sont arrivés petit à petit jusqu'à l'estrade du maire.)

PLANTUREL
Ah, çà ! qu'est-ce qu'il y a ? Voyons ? Qu'est-ce qu'il y a ! Séparez-les ! Séparez-les!
(FLAMECHE s'élance entre les deux combattants et sépare BARILLON de PATRICE qui se cramponne au bandeau de son adversaire. Le bandeau finit par rester dans la main de PATRICE qui est entraîné par FLAMECHE.)

PATRICE (se laissant emmener. )
Oui, va, je te retrouverai ! Je te retrouverai !

BARILLON (qui n'a plus son bandeau. )
Oui, viens-y donc, maintenant ! Viens-y donc!

PLANTUREL (n° 1, descendant de sa chaire et allant à BARILLON. )
Voyons, vous n'êtes pas raisonnable.

BARILLON (se retournant à l'observation de PLANTUREL. )
Comment, c'est lui qui…

PLANTUREL (bondissant en reconnaissant BARILLON. )
Alfonso Dartagnac !
(Il sort précipitamment par le fond à gauche.)

BARILLON (bondissant à travers les chaises et descendant entre Mme JAMBART et VIRGINIE.)
Il m'a reconnu !… (A VIRGINIE.)
Vite ! Venez !

TOUS
Hein ?

MADAME JAMBART
Qu'est-ce qu'il y a ?…

BARILLON (tirant MADAME JAMBART. )
Allons, venez, venez !

BRIGOT
Mais où allons-nous ?

BARILLON (tirant MADAME JAMBART. )
A la maison.

MADAME JAMBART (se débattant. )
Mais, laissez-moi donc !… ma mantille qui est là-bas…!

BARILLON (lâchant MADAME JAMBART qui manque de tomber. )
Eh ! bien, vous nous rejoindrez ! venez, Brigot!…

BRIGOT
Eh ! oui ! voilà ! Oh ! là ! là ! là ! là !
(Ils sortent.)

MADAME JAMBART (qui est allée chercher sa mantille à gauche. )
Eh ! Barillon, attendez- moi donc !

PLANTUREL (revenant du fond. )
S'il était véritablement Alfonso Dartagnac, il ne se serait pas marié sous le nom de Barillon. C'est un esbroufeur !… (A MADAME JAMBART qui se dispose à partir.)
Eh ! Madame ?

MADAME JAMBART
Monsieur le Maire ?…

PLANTUREL
Votre gendre est parti ?

MADAME JAMBART
Oui, oui, je ne sais pas ce qu'il avait, il a eu l'air de fuir.

PLANTUREL
Qu'est-ce que je disais ! Entre nous, il ne s'est jamais appelé Alfonso Dartagnac !…

MADAME JAMBART
Mon gendre ? Jamais de la vie, puisqu'il s'appelle Barillon.

PLANTUREL (à part. )
C'est bien ça ! c'est un fouinard ! (Haut.)
Eh bien ! puisqu'il est parti, vous lui remettrez ce livret, son livret de mariage.
(Il lui présente le livret ouvert.)

MADAME JAMBART (n° 1. )
Ah ! Qu'est-ce que c'est que ces petits casiers ?

PLANTUREL (n° 2. )
C'est pour les enfants.

MADAME JAMBART
Ah ! il y a de la marge.

PLANTUREL (tournant la page. )
Et puis là, l'inscription du mariage… Vous voyez: "Mariage entre Jean-Gustave Barillon, fils de… etc., etc., et Frédégonde-Augustine…"

MADAME JAMBART (corrigeant sans lire. )
Non !… et Virginie-Ernestine Pornichet !…

PLANTUREL
Pardon ! "Frédégonde-Augustine, veuve Jambart…"

MADAME JAMBART
Qu'est-ce que vous dites ? Veuve Jambart ? C'est moi !

PLANTUREL
Vous ?… Eh ! bien, alors, votre fille…

MADAME JAMBART
C'est Virginie Pornichet que vous venez de marier à M. Barillon.

PLANTUREL
Mais non ! Mais non !

MADAME JAMBART
Mais si ! Mais si !

PLANTUREL (remontant à sa chaire. )
Ah ! c'est trop fort ! Je n'y comprends plus rien du tout !… Nous allons bien voir ! Flamèche ! apportez l'acte ! (FLAMECHE descend de l'estrade avec le registre de mariage. A madame JAMBART.)
Tenez, vous allez voir ! (Le parcourant, il pousse un cri, défaillant.)
Ah ! mon Dieu !

MADAME JAMBART
Hein ! Qu'est-ce qu'il y a ? Il se trouve mal ! Au secours ! Au secours !

FLAMECHE (le soutenant. )
Ah ! mon Dieu, monsieur le Maire !

PLANTUREL (d'une voix étranglée. )
Ah ! mes amis !… Encore cet animal d'ivrogne qui s'est trompé ! (Appelant.)
Topeau ! Topeau !

TOPEAU (n° 1, paraissant à gauche, complètement gris. )
Qu'est-ce qu'il y a, Auguste ?

PLANTUREL (allant n° 2, à TOPEAU. )
Ah ! vous voilà, vous ! Je vous chasse !

TOUS
Qu'est-ce qu'il a fait ?

PLANTUREL
Ce qu'il a fait ? (Il passe au 3, entre MADAME JAMBART et FLAMECHE.)
Il a mis le nom de la mère au lieu de celui de la fille.

TOUS
Eh bien ?

PLANTUREL
Eh bien ! j'ai marié le futur avec sa belle-mère !…

MADAME JAMBART
Hein ! moi ? je…

PLANTUREL
Oui !…

MADAME JAMBART
Ah ! mon Dieu ! Je suis la femme de mon gendre ! (Elle, se trouve mal dans les bras de TOPEAU qui, absolument ivre, finit par l'embrasser, tandis que PLANTUREL s'effondre soutenu par FLAMECHE.)

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