ACTE I - SCENE IV
BRIGOT, FLAMECHE, puis PATRICE
BRIGOT (qui est remonté à droite, à FLAMECHE. )
Eh! bien, vous voyez! C'est lui le futur. Il a été chercher sa femme!
FLAMECHE (entre ses dents, descendant de l'estrade par la gauche. )
Je m'en fiche!
BRIGOT (apercevant PATRICE qui entre du fond, la tête basse et traînant une corde. )
Qu'est- ce que c'est que ce petit-là? Ce n'est pas le maire, ce blanc-bec!
PATRICE (pleurnichant. )
Elle va se marier, là, celle que j'aime.
(Il regarde le plafond.)
BRIGOT (n° 2. )
Qu'est-ce qu'il cherche ?
FLAMECHE (n° 1.)
Qu'est-ce que vous cherchez?
PATRICE (n° 3. )
Un clou… pour me pendre.
FLAMECHE
Vous pendre!… Mais on ne se pend pas ici.
PATRICE (passant au 2. )
Oh ! je vous laisserai la corde, ça porte bonheur.
BRIGOT (n° 3. )
Ah, çà! qu'est-ce que vous nous chantez avec votre corde?
PATRICE
Puisque l'ingrate m'oublie, quand on prononcera la sentence qui m'en sépare à jamais, je veux qu'on voie mon corps flotter dans l'espace.
FLAMECHE
Eh bien! ce sera gai.
BRIGOT
Ah! Je vois ce que c'est. Vous devez avoir des peines de cœur.
PATRICE
Ah! oui monsieur! J'aime!
FLAMECHE
Pauvre garçon !
BRIGOT (le faisant asseoir sur la banquette. )
Allons, voyons! racontez-moi ça! Je suis un confesseur, moi; un médecin, c'est un confesseur.
PATRICE
Vous êtes médecin?…
BRIGOT (soulevant son chapeau. )
Je suis vétérinaire. (A FLAMECHE qui s'est approché, à la droite de PATRICE.)
Laissez-moi seul, vous, avec mon pénitent. (FLAMECHE, très ému, se retire par le fond gauche.)
Eh! bien, quoi donc, voyons!… Qu'est-ce qu'il y a?
PATRICE
Ah! monsieur, vous la verrez, n'est-ce pas? Vous lui direz que je l'aimais bien et que je meurs pour elle! (Se levant.)
D'ailleurs, elle le saura ! Avant d'en finir, je lui ai fait des vers.
BRIGOT
Ah!…
PATRICE (tirant un papier de sa poche et lisant)
"On dit que tu te maries, "Tu sais que j'en vais mourir !"
BRIGOT (continuant, en chantant)
"Ton amour, c'est ma folie. "Hélas ! je n'en peux guérir !"(Il se lève. Parlé.)
Vous savez que c'est connu, ça!…
PATRICE
Vraiment? (Avec philosophie.)
Ça prouve que je ne suis pas le premier homme qui meurt d'amour!
BRIGOT
Allons! Voyons! Il faut se faire une raison! Une salle de mairie, ce n'est pas fait pour s'y pendre!… On s'y met la corde au cou, mais on ne s'y pend pas.
PATRICE
Ah ! on voit bien que vous ne savez pas ce que c'est que l'amour!
BRIGOT
Mais si, j'ai connu ça!… C'était même un beau brin de fille, une gamine.
PATRICE
Une gamine?
BRIGOT
De ce temps-là. Aujourd'hui, elle a cinquante-deux ans!
PATRICE
C'est une vieille gamine!
BRIGOT
Ah! quels traits, mon ami!… Dans le pays, on ne l'appelait que la belle écumoire!…
PATRICE
Pourquoi?
BRIGOT
Parce qu'elle était criblée de la petite vérole. Ça donnait du piquant à sa physionomie. Eh bien! elle en a épousé un autre! Vous croyez que j'ai été assez bête pour faire comme vous? Allons donc! Je n'ai rien dit. Seulement, j'ai pensé : "Epouse-la, mon vieux, et nous nous retrouverons!" Et quinze jours après, je l'ai fait cornard.
PATRICE
Oui?
BRIGOT
Eh! bien, mon garçon, faites comme moi, attendez et quand il y aura un mari, faites- le cornard!
PATRICE (lui serrant les mains. )
Ah! monsieur, merci de ces bonnes paroles. Je le ferai, monsieur, je le ferai!…
BRIGOT
Et qu'est-ce que c'est que ce mari, un crétin?
PATRICE (avec conviction. )
Oh! oui, monsieur. C'est un nommé Barillon.
BRIGOT (bondissant. )
Mon neveu?
PATRICE
C'est votre neveu qui se marie aujourd'hui avec la fille de Mme Jambart?
BRIGOT
Mais, oui!… (Envoyant brusquement un coup de poing dans l'estomac de PATRICE qui ne s'v attend pas et manque de tomber.)
Et c'est vous qui avez des idées comme ça sur mon neveu?…
PATRICE
Mais…
BRIGOT (lui envoyant un second coup de poing. )
Ah! Vous voulez le faire cornard!… Et vous venez me dire ça à moi, son oncle!
PATRICE
Mais, monsieur…
BRIGOT (le bourrant. )
Eh bien! vous avez du toupet!… Non, mais venez-y donc! Essayez donc de le faire cornard! Essayez donc et vous aurez affaire à moi !
PATRICE (ahuri. )
Mais non, monsieur, mais non!
(PATRICE bourré par BRIGOT est acculé à l'extrême gauche.)
VOIX DE BARILLON (à droite. )
Par ici, belle-maman!
BRIGOT
Et tenez, le voilà!… Dites-le lui un peu que vous allez le faire cornard!… mais dites- le lui donc!…
PATRICE
Je vous en prie, monsieur, je vous en prie!