ACTE PREMIER - Scène IX



(LES MÊMES, MICHELINE, DES SAUGETTES. Entre de droite Micheline, suivie de des Saugettes, qui porte des châles, manteaux, ombrelles, raquettes, sacs de balles, etc…)

MICHELINE(à des Saugettes qui la suit.)
Vous avez tout, des Saugettes ?

DES SAUGETTES
Je crois… oui, j'ai tout !

MICHELINE
Eh bien, et le kodak ?

DES SAUGETTES
Ah ! mon Dieu, le kodak !… J'ai laissé le kodak !

PLANTARÈDE
Oh ! voyons, des Saugettes ! Vous n'avez que ça à rapporter, et vous oubliez le kodak !…

DES SAUGETTES
Je suis impardonnable !… Je ne sais pas comment… Oh !…

PLANTARÈDE
Allez, allez, courez le chercher !

DES SAUGETTES
Oui, oui ! (Il sort en courant.)

PLANTARÈDE
Tête de linotte, va !

SAINT-FRANQUET(redescendant et s'inclinant.)
Chère madame !…

MICHELINE
Monsieur Saint-Franquet ?… ici !…

SAINT-FRANQUET(gêné.)
Oui !… oui, madame…

MICHELINE(froidement.)
Ah !… Enchantée…

PLANTARÈDE(à Saint-Franquet.)
Hein ?… Hein ?… Qu'est-ce que je vous disais !… la tête ! hein ?

SAINT-FRANQUET
Mais… non… Je ne vois pas…

MICHELINE(à Plantarède.)
Quoi ! "la tête ! hein"… Qu'est-ce que ça veut dire, "la tête ! hein ? "

PLANTARÈDE
Rien, rien !… Je lui avais dit que quand tu le verrais, tu ferais la tête.

MICHELINE
Moi ?…

PLANTARÈDE
Mais oui !… Eh bien, ça y est !… Tu ne peux pas le sentir, c'est un fait acquis. Autant qu'il le sache.

MICHELINE(haussant les épaules. )
Je ne peux pas le sentir !… Que c'est bête, ce que tu dis là. Je n'ai pas à sentir ou à ne pas sentir monsieur Saint-Franquet !

SAINT-FRANQUET
Mais, évidemment !…

DES SAUGETTES(accourant, essoufflé.)
Voi… voilà le ko… kodak.

PLANTARÈDE
A la bonne heure !… Vous êtes essoufflé ?

DES SAUGETTES
Non !… Oh ! mais, donnez-moi donc votre pliant… Vous êtes chargé…

SAINT-FRANQUET(à part.)
C'est pas un homme, ça, c'est un vestiaire !

PLANTARÈDE(se laissant débarrasser. )
Merci. (A Saint-Franquet.)
Tenez, un charmant garçon ; monsieur des Saugettes, que je vous présente…

DES SAUGETTES(ému.)
Oh ! monsieur Plantarède !…

SAINT-FRANQUET
Mais j'ai déjà eu le plaisir de rencontrer monsieur tout à l'heure…

DES SAUGETTES
En effet… oui…

SAINT-FRANQUET
… courant après une gaze de soie, comme un papillon après son filet.

PLANTARÈDE
Ah ! oui, la gaze de ma femme !… Mais, mes enfants, c'est pas tout ça ; il faut que nous rentrions nous changer. Ma femme et moi, nous sommes en sueur !

MICHELINE
Hein ?… Mais, parle pour toi !

PLANTARÈDE
Eh bien, soit !… Je suis en sueur et ma femme est en transpiration.

MICHELINE
Mais pas du tout ! En voilà une idée !

PLANTARÈDE
Quoi ! il n'y a pas de honte. Mon petit des Saugettes….

DES SAUGETTES
Monsieur ?…

PLANTARÈDE
Vous allez monter avec moi me faire ma friction au gant de crin.

DES SAUGETTES
Mais avec plaisir, monsieur !…

PLANTARÈDE
à Saint-Franquet. Vous n'avez pas idée, mon cher, de la complaisance de ce garçon ! C'est lui qui tous les jours me frictionne.

SAINT-FRANQUET
Allons donc ?…

DES SAUGETTES(flatté. )
Oh ! monsieur !…

PLANTARÈDE
Et ce qu'il frictionne bien !…

DES SAUGETTES
Oh ! monsieur, vraiment !…

PLANTARÈDE
Si, si !… Pas de fausse modestie. Souvent je me dis : "C'est dommage qu'il ait sa situation dans le monde ; ça ferait un masseur admirable ! "

DES SAUGETTES(avec un rire de modestie.)
Oh ! vous me flattez, monsieur Plantarède. vous me flattez !…

PLANTARÈDE
Je le dis comme je le pense ! (A Saint-Franquet.)
Si jamais vous avez des douleurs, des rhumatismes, je vous le recommande.

DES SAUGETTES(très ému.)
Oh ! Je suis confus, vraiment ! je suis confus !…

PLANTARÈDE
Faites-vous frictionner par lui. (A des Saugettes.)
N'est-ce pas ?

DES SAUGETTES(comme précédemment.)
Mais avec plaisir !…

SAINT-FRANQUET
Très aimable, monsieur… mais je n'ai pas de rhumatismes.

DES SAUGETTES(petit salut, sourire. )
Ah ?… Je regrette…

SAINT-FRANQUET
Pas moi !… mais très touché tout de même !

PLANTARÈDE
Allons, venez !… (A Micheline.)
Et toi, puisque tu ne veux pas être en transpiration, eh ben, tu vas tenir compagnie à notre ami Saint-Franquet.

MICHELINE
Moi ?… Mais…

PLANTARÈDE
Mais si, mais si. (A Saint-Franquet)
. Hein, croyez-vous qu'elle ne peut pas vous sentir ? Le croyez-vous ?

MICHELINE
Oh ! je t'en prie, tais-toi, tu es ridicule !

PLANTARÈDE
Ah ! Vous aurez de la peine à l'apprivoiser !

MICHELINE (ENTRE SES DENTS.)
Imbécile !

PLANTARÈDE
Oui, chérie. (A des Saugettes.)
Allons, venez, vous, mon masseur attitré ! (Il le pousse dans l'hôtel et y entre derrière lui.)
A tout à l'heure.

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