ACTE II - Scène VIII



(BICHON SAINT-FRANQUET , PUIS PLANTARÈDE.)

BICHON(un peu troublée, à Saint-Franquet.)
Comment, c'est toi…

SAINT-FRANQUET(avec humeur.)
C'est demain. (Il retire son paletot en se dirigeant, à travers ses chevalets qui le cachent un peu, vers le fond. A ce moment, Plantarède venant du fond, tombe comme une mouche dans l'atelier.)

BICHON
Ah ! (S'oubliant.)
Pas par là ! pas par là !

PLANTARÈDE
Porte à droite ? porte à droite ?

BICHON(comme précédemment.)
Non, à gauche ! à gauche !

SAINT-FRANQUET(sortant de ses chevalets. Il a passé un veston de velours.)
Quoi, à droite ? quoi, à gauche ?

PLANTARÈDE ET BICHON
Oh !

SAINT-FRANQUET(apercevant Plantarède qui essaie de se cacher le visage derrière son chapeau.)
Qu'est-ce que vous demandez, monsieur ?

PLANTARÈDE
Hem… je… je… Vous n'auriez pas un tableau à vendre ?

SAINT-FRANQUET(tout à coup.)
Hein ! mais c'est Plantarède !

PLANTARÈDE(instinctivement.)
Non !

SAINT-FRANQUET
Comment, non ?

PLANTARÈDE
Si !

SAINT-FRANQUET
Ah ! non, c'est pas possible ! Plantarède ici ! c'est Plantarède.! Oh ! ce brave ami, ! (Lui tendant la main.)
Et ça va bien ?

PLANTARÈDE(lui serrant la main.)
Mais pas mal, merci.

BICHON(à elle-même.)
Ah ! ben, ça s'arrange mieux que je craignais !

SAINT-FRANQUET
Ah ! par exemple, c'est ça qui est gentil d'être revenu ! Aussi, c'était trop bête, notre brouille !… Deux vieux amis… Et pourquoi ?… Ah ! ce cher Plantarède.!… Et madame va bien ?

PLANTARÈDE
Ma… ma femme… oui, oui, elle… va bien.

SAINT-FRANQUET
Ah ! que je suis content ! Je n'en crois pas mes yeux ! Plantarède. c'est Plantarède ! Bichon. c'est Plantarède dont je t'ai parlé si souvent… Mais je ne vous ai pas présentés ! Mon bon ami Plantarède ma bonne amie madame de Jouy… (Plantarède et Bichon s'inclinent comme deux personnes qui se voient pour la première fois.)
Ah !… mais je suis idiot ! Sa présence ici… en mon absence. "A gauche ! Non, à droite !…" ( Lui détalant, elle s'affolant !) (Poussant un cri.)
Ah !

PLANTARÈDE ET BICHON
Quoi ?

SAINT-FRANQUET
Le fauteuil 49.

BICHON
Oh ! là là !

PLANTARÈDE
Le quoi ?

SAINT-FRANQUET(entre ses dents. )
Ah ! c'est vous le fauteuil 49 !

BICHON(vivement, à Plantarède.)
Votre derrière ! Attention à votre derrière !

PLANTARÈDE(couvrant instinctivement son derrière de son chapeau.)
Hein ?

BICHON
Attention, voyons ! Il a dit qu'il le botterait !

PLANTARÈDE
Hein !

SAINT-FRANQUET(se rassérénant. )
Non, non, n'ayez crainte ! Je l'avais dit quand le derrière était anonyme… Mais maintenant que je sais à qui il a l'honneur d'appartenir, il m'est sacré ! Le derrière d'un vieil ami comme vous !

PLANTARÈDE(respirant.)
Ah !… A la bonne heure !

SAINT-FRANQUET
Mais comment ! Je suis trop heureux d'un concours de circonstances qui me vaut le plaisir de vous rencontrer chez moi.

PLANTARÈDE
Mais… plaisir partagé, croyez-le bien…

SAINT-FRANQUET(lui retendant la main.)
Ce cher Plantarède !

PLANTARÈDE(lui serrant les mains.)
Ce cher Saint-Franquet !

BICHON
Non, mais, je vous en prie, embrassez-vous !

SAINT-FRANQUET
Mais avec joie !

PLANTARÈDE
Certes !

BICHON(ahurie.)
Ah !… Ah ! ben, moi qui avais le trac du choc !

SAINT-FRANQUET
Et alors, Comme ça, mon bon Plantarède vous veniez ici dans l'intention de me faire cocu ?

PLANTARÈDE
Oui ! (se reprenant.)
Non !

SAINT-FRANQUET
Ben quoi, ne vous en défendez pas ; c'est toute la vie, ça ? Aujourd'hui vous, demain moi. Tant qu'il y aura des hommes et des femmes !…

PLANTARÈDE
Oh ! mais, tout de même, croyez bien que si je suis ici, c'est que j'ignorais…

SAINT-FRANQUET
Que vous me trouveriez ?

PLANTARÈDE
Oui… Non ! Mais que c'était vous qui… Enfin, je ne savais pas qu'il y eût un amant.

SAINT-FRANQUET
Eh bien, non, mon ami, réjouissez-vous ! Il n'y en a plus d'amant.

BICHON
Non !

SAINT-FRANQUET
Plantarède. vous pouvez allez chercher la seconde boucle d'oreille.

PLANTARÈDE
Le seconde ?… Quelle seconde boucle d'oreille ?

SAINT-FRANQUET
Celle qui complète la paire !… (Plantarède fait un geste d'ignorance.)
Oh ! il n'a pas de mémoire, cet homme là. (A Bichon.)
Bichon fais voir à monsieur la boucle d'oreille… à ton doigt.

BICHON(tendant à Plantarède le doigt auquel est la bague.)
Vous la reconnaissez bien ! Celle : "Si vous voulez avoir la paire, faites un signe et j'accours ! "

PLANTARÈDE
sur des charbons. Ah ! oui, la… Oh !

BICHON
J'avais raconté ça à Gérard, ça l'avait fait rire…

PLANTARÈDE(comme précédemment.)
Ah ? ah ?

SAINT-FRANQUET
Oh ! du bout des lèvres. Eh ben, voilà, mon bon, vous tombez à pic. La place est libre ! Je suis trop heureux de vous la céder.

PLANTARÈDE
A moi !

BICHON(vexée. )
Ah ! tout de même, "trop heureux !…"

SAINT-FRANQUET
Oui, trop heureux ! Je ne suis pas un égoïste, moi. On se quitte, je ne peux pas avoir la prétention que ma Bichon n'aura plus jamais personne ! Ce serait contraire à sa définition.

BICHON
Vois-tu ça !

SAINT-FRANQUET
Allez, allez, Plantarède ! Je n'ai qu'une parole. Bichon est vacante, je vous la donne ! (Il la pousse vers lui.)

PLANTARÈDE
Saint-Franquet. (Il la repousse vers Saint-Franquet.)

BICHON(à Saint-Franquet.)
Ah ! mais tu m'embêtes, à la fin ! "Je vous la donne ! je vous la donne ! " Si je veux me donner, je saurai bien le faire sans toi.

SAINT-FRANQUET
Oui ! oh ! ça, je sais !

BICHON
C'est vrai, ça ! A t'entendre, on dirait que c'est toi qui me plaques…

SAINT-FRANQUET
Mais non, mais non !

BICHON
Oui, ah ! ben, je te prie de le dire à monsieur. Je ne suis pas une femme qu'on plaque ! C'est moi qui plaque !

SAINT-FRANQUET(conciliant. )
Bon, bon !

BICHON
Ma parole, t'as l'air de me coller, là : "Allez-y ! prenez donc ! les cochons n'en veulent plus ! "

SAINT-FRANQUET
Ah ! mais dis donc, toi, à ton tour…

BICHON
J'ai l'air de quoi ? d'un laissé pour compte ! d'un solde !… Comme c'est alléchant pour le client !

SAINT-FRANQUET
Mais je reconnais que c'est toi qui me plaques, là ! je le reconnais, Allez, allez, mes enfants, soyez à vous, je vous vous donne.

BICHON(moitié colère, moitié riant.)
Tu m'agaces, finis !

PLANTARÈDE
Non, voyons, Saint-Franquet, vous plaisantez !

SAINT-FRANQUET
Mais du tout ! Je parle sérieusement.

PLANTARÈDE
Saint-Franquet !

SAINT-FRANQUET
Allez donc, quoi ! Vous en mourez d'envie.

PLANTARÈDE
Mais non ! mais non !

BICHON
Ah ! ben, dis donc, mon p'tit vieux !

PLANTARÈDE
Non, je veux dire… Evidemment mais…

SAINT-FRANQUET
Ah ! Plantarède vous n'allez pas vous faire prier.

PLANTARÈDE
Ecoutez, vous me mettez dans une situation…

SAINT-FRANQUET
Ah ! Plantarède vous me désobligez.

PLANTARÈDE
Vraiment, alors, c'est sincère ?… Vous ne m'en voudrez pas ?

SAINT-FRANQUET
Je vous dis que non.

PLANTARÈDE
Ah ! bien alors, soit ! Je veux bien essayer.

BICHON
Ah ! non !

PLANTARÈDE
Je suis si ému… Bichon

BICHON(le recevant dans ses bras.)
Pauvre gros, va !

SAINT-FRANQUET
Qu'on vienne me dire après ça que je suis une nature jalouse ! (On sonne.)
On a sonné

BICHON ET PLANTARÈDE(sans se séparer.)
Oui !

SAINT-FRANQUET
Dérangez pas ! Je vais ouvrir ! (Il sort)

PLANTARÈDE(aussitôt Saint-Franquet sorti.)
Alors, on est ensemble ?

BICHON
Ça a l'air !

PLANTARÈDE
Je suis bien content !

BICHON
Dites, alors… vous avez toujours la seconde boucle d'oreille ?

PLANTARÈDE
Oui.

BICHON
Faudra me la donner, hein ?

PLANTARÈDE
Mais dame !

SAINT-FRANQUET(reparaissant par l'entrebâillement de la porte.)
Mes enfants !

BICHON
Eh ?

SAINT-FRANQUET
Foutez le camp !

BICHON ET PLANTARÈDE
Comment ?

SAINT-FRANQUET
Un moment ! Passez à côté. J'ai quelqu'un à recevoir.

BICHON
Qui Ça ?

SAINT-FRANQUET
Rien ! Ma sœur !

BICHON
T'en a pas.

SAINT-FRANQUET
Ça ne fait rien !

BICHON
Ah ! bon ! Alors, passons par la… (Saint-Franquet les pousse dans la chambre, puis remonte introduire les nouveaux arrivants.)

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