Je ne trompe pas mon mari !
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ACTE PREMIER - Scène XII

Georges Feydeau

ACTE PREMIER - Scène XII


(SAINT-FRANQUET MICHELINE, LE GÉRANT, LES VOYAGEURS, PUIS LE GARÇON.)

LE GÉRANT(un melon à la main.)
Là, tout droit, par là… et vous trouvez la source à main gauche.

LES VOYAGEURS
Merci ! merci bien. (En voyant les sourires et les petits saluts de Saint-Franquet et de Micheline, ils paraissent un peu étonnés, rendent les saluts et sortent à droite.)

LE GÉRANT (à Saint-Franquet et Micheline. )
Ah ! Monsieur est heureux ! Il a enfin trouvé madame Plantarède.

SAINT-FRANQUET(gêné.)
Oui ! oui !

MICHELINE(suffoquée. )
Quoi ? ( Elle se lève brusquement. Saint-Franquet fait de même.)

LE GÉRANT(sur un ton de confidence pleine d'intérêt.)
Je vais changer mon melon ; il est trop avancé…

SAINT-FRANQUET(la tête ailleurs.)
Aha ! ah ! bon.

LE GÉRANT(saluant.)
Monsieur, madame… (Il sort.)

MICHELINE(aussitôt. )
Ah çà, vous êtes fou ! Vous êtes allé faire des confidences à cet homme !

SAINT-FRANQUET
Moi ? Mais pas du tout ! C'est lui qui m'avait raconté que, vous étiez ici ; alors je lui avais répondu : "Ah ! ben, tant mieux, je serais très heureux de les voir."

MICHELINE
Comme c'est vraisemblable ! Il y a trois cents baigneurs, vous arrivez, il ne vous connaît pas, et il vous dit tout de suite : "Ah ! vous savez, les Plantarède sont ici ! "

SAINT-FRANQUET
Non, évidemment, ça ne s'est pas passé tout, à fait comme ça.

MICHELINE(accompagnant son discours de petits coups nerveux et successifs sur la table de fer près de laquelle elle s'assied.)
Oh ! non ! non ! mais vous avez donc juré de faire tout pour me compromettre

SAINT-FRANQUET
Moi !

MICHELINE(deux coups sur la table.)
Oui, vous ! (Elle se fait mal aux doigts en se cognant sur la table.)
Oh ! là !…

VOIX DU GARÇON(à l'intérieur de l'hôtel.)
Voilà ! voilà !

SAINT-FRANQUET
Ah ! bien, elle est verte, celle-là !

LE GARÇON(arrivant.)
Monsieur a appelé ?

SAINT-FRANQUET
Quoi ?… C'est pas moi, c'est madame.

MICHELINE
Moi ? Non !… Euh ! Si !…

LE GARÇON
Madame désire ?

MICHELINE(ne sachant que demander.)
je voudrais… Je voudrais… (Faisant des doigts appel à Saint-Franquet.)
Voyons, cette consommation ?…

SAINT-FRANQUET
Ah ! oui, elle est verte !

MICHELINE(à Saint-Franquet.)
Comment ça s'appelle, déjà ?

SAINT-FRANQUET(machinalement.)
Une verte.

MICHELINE(au garçon.)
C'est ça, une verte.

LE GARÇON(étonné.)
Ah ?… Sucre ? anis ?

MICHELINE
Hein ?… Sucre ! C'est plus doux.

LE GARÇON
Bien, Madame. (Il sort.)

MICHELINE
Qu'est-ce que c'est que ça, une verte.

SAINT-FRANQUET(l'esprit ailleurs.)
Quoi, une verte ?… C'est une absinthe

MICHELINE (SURSAUTANT.)
Hein une absinthe ! Ah çà vous êtes tout à fait fou ! Vous me faites commander, une absinthe, à présent ? Mais qu'est-ce qu'il va penser de moi, ce garçon ?

SAINT-FRANQUET
Ah ! bien, c'est ça qui m'est égal, ce que peut penser ce garçon.

MICHELINE
Mais pas à moi ! De quoi vais-je avoir l'air ? D'une femme qui se pique le nez !

LE GARÇON(revenant.)
J'ai pas pensé à demander : un Pernod ou une Oxygénée ?

MICHELINE(à Saint-Franquet avec anxiété.)
Qu'est-ce qu'il dit encore ?

LE GARÇON
La verte ?

SAINT-FRANQUET
Mais non, pas une absinthe ; une verte, une menthe verte.

LE GARÇON
Ah ! bon ! je disais aussi !… (Il sort.)

MICHELINE(se levant.)
Vous voyez ! "Il disait aussi ! "

SAINT-FRANQUET
Oui ! eh bien, maintenant, il ne dit plus ! C'est arrangé.

MICHELINE
Oh ! oui ! oh ! c'est arrangé ! Vous avez une façon de prendre votre parti de tout…

SAINT-FRANQUET
Oh ! non, pas de tout ! (Avec passion.)
Oh ! si vous saviez…

MICHELINE
Ah ! non, non, vous n'allez pas recommencer, hein ? Allez ! Et d'abord, rendez-moi ma fleur !

SAINT-FRANQUET
Votre fleur ?

MICHELINE
Eh bien oui, mon œillet.

SAINT-FRANQUET
Oh ! vous n'allez pas me le reprendre…

MICHELINE
Je vais me gêner ! (Elle lui arrache son œillet.)

SAINT-FRANQUET
Oh ! vous êtes cruelle !

MICHELINE
Au revoir, cher monsieur.

SAINT-FRANQUET
Je vous aime, Micheline !

MICHELINE
Je vous défends de m'appeler Micheline.

SAINT-FRANQUET
Je vous aime, chère madame.

MICHELINE
"Chère madame ! " Tenez, vous me faites rire.

SAINT-FRANQUET
C'est ça, riez ! riez ! Quand on rit, on est à moitié désarmé.

MICHELINE
Mais vous ne comprenez donc pas, mon pauvre ami, que je ne trompe pas mon mari !

SAINT-FRANQUET
Que c'est drôle !

MICHELINE
Mais non !

SAINT-FRANQUET
Enfin, tout de même, si une fois, par hasard, vous changiez d'idée… Promettez-moi que ce sera avec moi !

MICHELINE(riant.)
Non, vraiment, vous êtes risible.

SAINT-FRANQUET
Mais, nom d'un chien, vous ne pouvez pourtant pas l'aimer !

MICHELINE
Qui ?

SAINT-FRANQUET
Mais votre mari ! Tenez, là ! Tenez, regardez-le à sa fenêtre… à travers ses carreaux… Il nous dit bonjour ! Il a l'air radieux, radieux ! (A Plantarède qui est apparu derrière la fenêtre en gilet de flanelle, massé par Des Saugettes et leur fait des signes de tête.)
Oui, bonjour ! bonjour ! Fais toi frotter, va !

MICHELINE
Si vous ne vous moquiez pas de lui…

SAINT-FRANQUET
Je ne me moque pas ; mais regardez-le, là, en gilet de flanelle, avec cet imbécile qui lui polit le dos. Allons, voyons, est-ce que vous pouvez l'aimer ? Est-ce qu'il a la tournure d'un amant ?

MICHELINE
Je croyais que vous l'aimiez, vous.

SAINT-FRANQUET
Hein ?… mais certainement, je l'aime ! évidemment, je l'aime ! je l'aime comme ami ; mais pas comme amant ! Mais un amant, Micheline, vous ne savez pas…

MICHELINE
Oh ! non, non, en voilà assez !… (Plantarède disparaît.)
Je vous préviens que si vous devez recommencer, tant pis pour ce qui en résultera, j'appelle mon mari et je lui dis tout !

SAINT-FRANQUET
Ah ! bien, si vous croyez me faire céder à des menaces ! Appelez-le donc, votre mari ! J'aime autant ça, après tout. Il en résultera un éclat ; mais au moins, nous aurons une situation nette.

MICHELINE
Oh ! vous me défiez, monsieur ! C'est très bien C'est vous qui l'aurez voulu. (Appelant.)
Antoine Antoine !

SAINT-FRANQUET(lui saisissant la main et la tirant à lui.)
Ah ! non, non, vous n'allez pas faire ça


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