ACTE III - Scène II



(SAINT-FRANQUET MICHELINE.)

SAINT-FRANQUET
Il est parti.

MICHELINE(sortant, de sa couverture.)
Ah ! c'est pas trop tôt ! J'ai cru que vous alliez le garder toute la journée.

SAINT-FRANQUET
je vous demande pardon…

MICHELINE
Si vous croyez que j'étais bien, moi, là-dessous !

SAINT-FRANQUET
Ma pauvre Micheline !

MICHELINE(très digne.)
Oh ! et puis, je vous prie de m'appeler madame !

SAINT-FRANQUET(ahuri, )
Ah !

MICHELINE
Vraiment, quand on a la réputation d'une femme à sauvegarder… Enfin, qu'est-ce qu'il va penser après ça, des Saugettes ?

SAINT-FRANQUET
Mais rien du tout. Qu'est-ce que vous voulez qu'il pense ?

MICHELINE
Sûrement que nous avons couché ensemble !

SAINT-FRANQUET
Mais non ! mais non ! Je lui ai affirmé que ce n'était pas vous.

MICHELINE
Mais il m'a vue !

SAINT-FRANQUET
Ah ! oui ! mais entre ma parole et ce qu'il a pu voir, il me connaît assez pour ne pas hésiter.

MICHELINE
Ah ! c'est gai !

SAINT-FRANQUET
Soyez tranquille, c'est un secret qui restera toujours entre nous.

MICHELINE
Quoi, un secret, Quel secret ?

SAINT-FRANQUET
Cette nuit que nous avons passée ensemble.

MICHELINE
Mais nous n'avons pas passé la nuit ensemble !

SAINT-FRANQUET
Comment ! mais…

MICHELINE
En tous cas, il ne me plaît pas d'avoir passé la nuit avec vous ! là, c'est clair ! Si vous aviez un peu de tact… !

SAINT-FRANQUET
Oh ! je vous demande pardon !

MICHELINE
Et pour commencer, mon cher monsieur, comme vous m'avez très justement fait observer que nous nous trouvions côte à côte et que c'est parfaitement incorrect, je vous prie de vous lever.

SAINT-FRANQUET
Mais je n'ai pas envie de me lever.

MICHELINE
Bon ! bon ! restez couché.

SAINT-FRANQUET(avec satisfaction. )
Ah !

MICHELINE
Vous êtes chez vous ! je n'ai rien à dire ! (Se levant et prenant le couvre-pied et l'oreiller)
C'est donc à moi de me lever ! J'irai m'étendre sur le canapé.

SAINT-FRANQUET(la retenant.)
Mais non, voyons !

MICHELINE
Ah ! je vous en prie, laissez-moi !

SAINT-FRANQUET
Ah ! et puis zut, après tout !

MICHELINE(allant poser l'oreiller et étendre la couverture sur la chaise-longue qui est au pied du lit.)
Oui, oh ! vous êtes très galant ! Ça ne m'étonne pas, d'ailleurs, après ce que vous avez fait !

SAINT-FRANQUET
Quoi ! quoi ! qu'est-ce que j'ai fait ?

MICHELINE(s'étendant sur la chaise-longue.)
Quand je pense que par vous, moi, l'épouse modèle, moi qui avais le droit de parler haut au nom de six années de fidélité sans défaillance… je… je… Non, non, vous n'avez pas agi comme un honnête homme !

SAINT-FRANQUET
Ça, c'est trop fort ! En quoi ? en quoi ?

MICHELINE
Vous ne deviez pas abuser de la situation.

SAINT-FRANQUET
Enfin, sacristi, qu'est-ce que je devais faire ?

MICHELINE
Ce que tout homme délicat aurait fait à votre place.

SAINT-FRANQUET
Vous êtes dure.

MICHELINE
Ne pas jouer le bon apôtre en prenant la défense de mon mari, ce qui ne pouvait que m'exaspérer davantage ; mais me faire comprendre que la peine du talion ne pouvait être la vengeance d'une honnête femme.

SAINT-FRANQUET
Ecoutez ! … Evidemment, si ça m'était venu en tête…

MICHELINE(se levant.)
En tout cas, il est une chose que vous ne deviez pas faire, c'était d'accepter d'être mon vengeur.

SAINT-FRANQUET
Vous me menaciez de vous adresser à un autre…

MICHELINE
Eh bien, il fallait me répondre : "Adressez-vous à un autre." Voilà ce qu'il fallait me répondre, si véritablement vous m'aimiez !

SAINT-FRANQUET
Ce n'est généralement pas ce que l'on dit à une femme que l'on aime !

MICHELINE(se remettant dans le lit.)
Au moins, à l'heure qu'il est, vous auriez la conscience nette ; tandis que maintenant…

SAINT-FRANQUET
Eh bien, qu'est-ce que vous faites ?

MICHELINE
Quoi ?

SAINT-FRANQUET
Vous vous, remettez dans mon lit ?

MICHELINE(le poussant hors du lit.)
Eh bien quoi, allez-vous en ! C'est pas votre place.

SAINT-FRANQUET
Dans mon lit ?

MICHELINE
Dans le lit où je suis ! Je ne vais tout de même pas attraper froid pour vous faire plaisir.

SAINT-FRANQUET
Bon ! bon ! (Il va s'étendre sur la chaise-longue.)

MICHELINE(repiquant.)
Oui, seulement, ça vous allait !

SAINT-FRANQUET
Bon ! on y revient.

MICHELINE
L'occasion se présentait, vous n'étiez pas fâché d'en profiter !

SAINT-FRANQUET(se levant.)
Ecoutez, Micheline…

MICHELINE
Ah ! vous êtes un joli monsieur !

SAINT-FRANQUET
Ah ! mais, permettez…

MICHELINE
Qu'est-ce que je suis venue faire ici ? Je me le demande !

SAINT-FRANQUET
Eh bien, écoutez, voulez-vous que je vous dise ? Moi aussi, je me le demande.

MICHELINE
Comment !

SAINT-FRANQUET
C'est vrai, ça ! Vous me faites une scène, là !… Après tout, est-ce que j'ai été vous chercher ? Vous venez me relancer chez moi… vous me posez un ultimatum…

MICHELINE
Un ultimatum !

SAINT-FRANQUET
Galamment, je cède, je me donne ! et parce que je me suis soumis à votre volonté, aujourd'hui vous m'en faites un crime.

MICHELINE
C'est ça ! c'est ça ! Jetez-moi la pierre, maintenant.

SAINT-FRANQUET
Quand je pense qu'hier, quand vous êtes venue, je venais de me fiancer… et pour vous, en un instant, sans remords, j'ai tout sacrifié ! Ah ! si j'avais su !

MICHELINE
Mais mariez-vous, monsieur ! Mariez-vous, je ne vous en empêche pas.

SAINT-FRANQUET
Oh ! vous ne m'en empêchez pas ! Il est bien temps de me le dire ! maintenant que vous savez que ma lettre de rupture est partie.

MICHELINE
Quand ? Quand est-elle partie ? Vous avez écrit cette nuit.

SAINT-FRANQUET
Dans un élan de bêtise héroïque !

MICHELINE
Que je ne vous demandais pas ! Vous n'allez pas me dire que vous avez eu le temps de la mettre à la poste ?

SAINT-FRANQUET
Non ! mais je l'ai déposée sur la table de l'antichambre avec mission pour mon domestique de la porter dans la matinée.

MICHELINE(se levant.)
Eh bien, sonnez-le ! Il n'est peut-être pas encore parti.

SAINT-FRANQUET
Mais certainement, je vais le sonner. Certainement, je vais le sonner !

MICHELINE
Au moins, vous ne cherchez pas à me dissimuler votre empressement !

SAINT-FRANQUET
Dame, enfin…

MICHELINE
Et dire que c'est cet homme qui me parlait de m'épouser ! (Elle sort de gauche.)

SAINT-FRANQUET
Ah ! non… ah ! non !… des petites scènes comme ça, ah ! non ! (Allant sonner.)
Pourvu que Victor n'ait pas encore porté la lettre ! Ma pauvre petite Dotty. quand je pense… (On frappe.)
Ah ! le voilà ! Entrez Victor !

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