ACTE II - Scène VII



(BICHON PLANTARÈDE.)

BICHON(qui est sortie par le fond, revenant.)
Entrez, monsieur… mais entrez donc !

PLANTARÈDE(paraissant, la figure toute rasée et coiffé avec coquetterie.)
Oh ! je suis heureux ! je suis heureux ! Ma petite de Jouy ! ma petite de Jouy !

BICHON
Allons, allons, monsieur… Voyons, je vous en prie !

PLANTARÈDE
Ah ! quand je pense que c'est cette petite femme que, deux fois par semaine, j'applaudis de mon fauteuil… et que, maintenant, je suis là ; devant elle ! elle est là, devant moi !

BICHON
Qui dit l'un, dit l'autre.

PLANTARÈDE
Oui ; mais sans rampe, rien ! ma main touche la sienne ! Ah ! quand vous m'avez téléphoné tout à l'heure, j'ai cru tomber de joie… Ma femme arrivait, j'ai lâché ma femme…

BICHON
Ah ! vous êtes marié

PLANTARÈDE
Je suis marié, oui… ne vous occupez pas de ça… Ah ! je n'ai pas été long, j'ai pris mon chapeau, j'ai sauté dans une auto… et me voilà ! et me voilà !… Ah ! ma petite de Jouy ! ma petite de Jouy !

VOIX DE DES SAUGETTES (, à la cantonade gauche, accompagnée de coups de poing dans la cloison.)
Oh ! c'est dégoûtant ce que vous faites là, monsieur ! L'amie de mon ami !

PLANTARÈDE(interloqué.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?

BICHON
Rien, rien !

VOIX DE DES SAUGETTES
Allez-vous en, monsieur ! Allez-vous en !

PLANTARÈDE
Mais qui est-ce qui parle comme ça ?

BICHON
C'est… c'est un camarade de mon concert, avec qui j'étais en train de répéter… Il repasse sa scène. Attendez ! (Allant ouvrir la porte de gauche.)
Partez, mon ami, partez ! Je vous ai dit que je n'avais plus besoin de vous.

VOIX DE DES SAUGETTES
C'est dégoûtant !

BICHON(donnant un coup de pied quelque part à des Saugettes qu'on aperçoit vaguement.)
Mais allez donc !… (Des Saugettes se sauve. Revenant à Plantarède.)
Il s'en va.

PLANTARÈDE
Ce n'est pas Dranem ? Il me semble avoir reconnu sa voix.

BICHON
Non, non ! ce n'est pas Dranem.

PLANTARÈDE
En tout cas, il dit joliment juste ! Une conviction !…

BICHON
Oui… c'est un garçon qui va bien. A ce moment, des Saugettes, en sautillant, passe la tête au-dessus des brise-bise pour tâcher de voir qui est là. Bichon l'aperçoit et le foudroie du regard. Des Saugettes disparaît, et on entend fermer violemment la porte du vestibule.

PLANTARÈDE
Aha ! le voilà qui vient de s'en aller !

BICHON
Oui.

PLANTARÈDE(amoureux.)
Nous sommes donc seuls !

BICHON
Oui, oui.

PLANTARÈDE
Ah ! que je suis heureux !

BICHON(assise près de lui, le considérant.)
C'est curieux, vous avez une tête qu'on connaît ! La première fois que je vous ai remarqué à l'orchestre, j'ai dit : "je connais ça ! "… Sûrement j'aurai vu votre tête dans les journaux.

PLANTARÈDE
Oh ! peu probable.

BICHON
Pourquoi ?

PLANTARÈDE
Parce qu'on ne m'y a jamais mis.

BICHON
Tiens, c'est drôle ! On met tout le monde aujourd'hui dans les journaux ! Pourtant, j'ai votre tête dans l'œil… Je suis sûre que vous avez un nom !

PLANTARÈDE
Heu, heu… Non !

BICHON
Enfin, quoi, vous ne vous appelez pas seulement le fauteuil 49 ?

PLANTARÈDE
Ah ! non !

BICHON
Alors ?

PLANTARÈDE(après une hésitation)
. Antoine.

BICHON
Ah ! c'est gentil. Et quoi ?

PLANTARÈDE
Ça ne vous suffit pas pour aujourd'hui ?

BICHON
Oh ! non, non, moi, j'aime savoir à qui je parle ! Il faut qu'on m'ait été présenté avant. Allons, votre nom ?

PLANTARÈDE
après une nouvelle hésitation. Eh ben… Voltaire, là !

BICHON
Ah ! Vous voyez bien que vous êtes quelqu'un de connu.

PLANTARÈDE
C'est drôle, moi aussi, j'ai la sensation que ce n'est pas la première fois que je vous vois…

BICHON
Ah !… En tout cas, on n'a jamais été rien l'un à l'autre ! parce que j'ai assez la mémoire de ces choses-là…

PLANTARÈDE
Non, non ! je ne prétends pas !… Attendez donc ! Vous n'avez pas une sœur qui vous ressemble en châtain et qui est dans la… enfin… pas dans le théâtre ?

BICHON
Pas dans le théâtre ? Ben, y a eu que moi !… avant que j'y sois.

PLANTARÈDE
Vous ressemblez à une petite femme qu'on appelait Bichon.

BICHON
Bichon ? Mais je la suis !

PLANTARÈDE(sursautant.)
Vous la êtes !… Vous… Vous l'êtes ?…

BICHON
En plein !

PLANTARÈDE
Bichon ! C'est Bichon ! Ah ! c'est donc ça que vous lui ressemblez !

BICHON
Y a des chances.

PLANTARÈDE
Ah ! ben, Si je m'attendais… Seulement, n'est-ce pas, le théâtre, ça change tellement une femme…

BICHON
Ça blondit !

PLANTARÈDE
Vous ne vous souvenez pas ? Châtel-Sancy ?

BICHON
Châtel-Sancy ?

PLANTARÈDE
Oui ! Plantarède ! Monsieur Plantarède.!

BICHON(étourdiment.)
Non ! Le monsieur de la dame qui… (Elle s'arrête brusquement.)

PLANTARÈDE
Qui quoi ?

BICHON
Qui rien !… Ah ! ben, ah ! ben, vous en avez opéré un changement de tête ! Vous aviez des favoris, et puis vous aviez une coiffure comme ça !… Ah ! ben !… (Elle fait le geste de ramener sur les tempes.)
Maintenant, à la bonne heure ! vous avez une tête… Ah ! ça, c'est rigolo ! Savez- vous de qui vous avez la tête ?

PLANTARÈDE
Je ne sais pas… C'est ma femme qui a absolument voulu que je m'arrange comme ça.

BICHON
De Gérard de Saint-Franquet.!

PLANTARÈDE
De Gé… Vous le connaissez ?

BICHON
C'est mon amant.

PLANTARÈDE(se levant vivement.)
Hein !

BICHON
Vous êtes chez lui.

PLANTARÈDE
Je suis chez lui !

BICHON
Vous n'aviez pas vu que vous étiez chez un peintre ?

PLANTARÈDE
Ah ! nom d'un chien ! mais c'est vrai ! Oh ! mes enfants ! Oh ! là là ! Par où la sortie ?

BICHON
Bougez donc pas. Il est à la répétition générale du Français. Z'avez tout le temps.

PLANTARÈDE
Comment, à la générale du Français ?… Mais c'est demain !

BICHON
Hein ! vous êtes sûr ?

PLANTARÈDE
Absolument ! J'y vais. Ça a été retardé… Féraudy est en représentations à Nantes.

BICHON
Ah ! ben, par exemple !… Mais alors, Gérard ?…

PLANTARÈDE
Ah ! ben, Gérard !… (A ce moment, on entend la porte se refermer dans le vestibule.)

BICHON
Nom d'un chien, c'est lui !

PLANTARÈDE(affolé.)
Ah ! là ! là !

BICHON(ouvrant la porte de la chambre ; à gauche.)
Vite, par là ! La porte au fond, tournez à droite, et la porte à droite !

PLANTARÈDE
Oui, oui, la porte à droite ! ( Il disparaît à gauche.)

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