ACTE III - Scène première


(La chambre à coucher de Saint-Franquet. Lit de milieu au fond, face au public. A droite, premier plan, porte donnant sur l'atelier. A gauche du lit, au fond, porte donnant sur la salle de bains. A gauche, second plan, la fenêtre, dont les rideaux sont fermés. Au lever du rideau, obscurité sur la scène.)


(SAINT-FRANQUET MICHELINE, COUCHÉS, PUIS DES SAUGETTES.)
(Un temps de quelques secondes ; puis on entend frapper à la porte de droite. Personne ne bouge dans la chambre. On frappe de nouveau. Silence.)

DES SAUGETTES(entr'ouvrant la porte et passant la tête, à mi-voix.)
Gérard !… Gérard !… Tu dors encore ?… (Ronflement de Saint-Franquet. Des Saugettes. entrant, un bouquet de violettes à la main.)
Il ronfle, il doit dormir. Priait, qu'il fait noir ! Et pas d'allumettes !… (Il presse sur son briquet qui s'allume et donne un peu de lumière. Déposant son bouquet de violettes sur un guéridon, près du lit, et appelant à mi-voix.)
Gérard ! (A part.)
Je sais bien ce qui va m'arriver… Il va m'engueuler ! C'est tous les matins la même chose. Quand je ne le réveille pas, il m'engueule parce que je l'ai laissé dormir ; quand je le réveille, il m'engueule parce que je l'ai réveillé… Il est si gentil ! Je vais toujours lui ouvrir les rideaux. Comme ça, j'espère que c'est le jour qui le réveillera au lieu de moi, et c'est le jour qui prendra ! (il ouvre les rideaux. Un temps. Il tousse.)
Hum !… Va-t-en voir, il dort comme un chérubin !… et Bichon lui donne la réplique ! Qu'est-ce que je vais faire ? je ne vais pas les réveiller quand ils dorment si bien.(S'asseyant.)
Je vais attendre qu'ils se réveillent d'eux-mêmes ! Gérard était d'assez mauvaise humeur hier… M'a-t-il attrapé ! Je n'en ai pas dormi de la nuit ! Je n'ai pas envie qu'il soit encore à la crotte ce matin ! (A ce moment, Micheline se remue dans le lit, puis, ouvrant à demi les yeux.)

MICHELINE (ENCORE ENDORMIE.)
Oh ! qui est-ce qui a ouvert les rideaux ?

DES SAUGETTES(suffoqué.)
Ah ! madame Plantarède.!…

MICHELINE(poussant un cri.)
Ah ! (Elle s'enfouit sous les couvertures.)

SAINT-FRANQUET(réveillé en sursaut,)
Hein ! Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

DES SAUGETTES
Oh ! Gérard ! Gérard !

SAINT-FRANQUET(le reconnaissant.)
Des Saugettes !

DES SAUGETTES
Tu n'as pas vu, là ! là ! dans ton lit à côté de toi !

SAINT-FRANQUET
Quoi ?

DES SAUGETTES
C'est pas Bichon ! C'est madame Plantarède.!

SAINT-FRANQUET(bondissant.)
Qu'est-ce que tu dis ?

DES SAUGETTES
Je t'assure ! c'est elle ! Je l'ai reconnue.

SAINT-FRANQUET
Non ! non ! C'est pas vrai ! Tu entends, c'est pas vrai !

DES SAUGETTES
Je te dis que si ! Toi, tu dormais ! Tu ne sais pas ! Veux-tu parier ?

SAINT-FRANQUET
Oh ! mais tu m'embêtes, à la fin ! Même si tu as vu madame Plantarède. je te répète que ce n'est pas elle.

DES SAUGETTES(l'air malin.)
Ah ! bon ! oui, je comprends.

SAINT-FRANQUET
Quoi ! quoi ! tu comprends ?

DES SAUGETTES
Non, rien !

SAINT-FRANQUET
Il n'y a pas de "je comprends" ! A-t-on jamais vu un idiot pareil ?

DES SAUGETTES
Oh ! tu es encore de mauvaise humeur !

SAINT-FRANQUET
Mais c'est toi qui m'y mets, de mauvaise humeur ! Qu'est-ce que c'est que cette façon que tu as d'entrer chez moi sans frapper ?

DES SAUGETTES(vivement.)
J'ai frappé ; seulement, pas très fort, pour ne pas trop te réveiller.

SAINT-FRANQUET
Est-ce que je t'ai dit : "Entrez" ?

DES SAUGETTES
Tu ne pouvais pas, tu dormais.

SAINT-FRANQUET
Eh bien, alors, tu n'avais qu'à rester dehors ! C'est extraordinaire, ça !… D'abord, quoi ? Qu'est- ce que tu me veux ?

DES SAUGETTES
Je voulais te faire des excuses pour ce que je t'ai fait hier…

SAINT-FRANQUET
Ce que tu m'as fait hier ? quoi ?

DES SAUGETTES
Je ne sais pas. Mais tu m'as attrapé ! Je suppose que si tu m'as attrapé, c'est que je t'ai fait quelque chose. Tu ne m'en veux pas ?

SAINT-FRANQUET
Mais non, mais non !

DES SAUGETTES
Alors, je t'apportais ce bouquet de violettes… C'est une fleur que tu aimes !

SAINT-FRANQUET
Mais je m'en fous, de tes violettes ! (Brusquement.)
Oh ! mais vous me faites mal !

DES SAUGETTES
Moi ?

SAINT-FRANQUET
Mais non ! c'est la dame qui… qui n'est pas madame Plantarède. tu entends… qui m'a donné un coup de pied.

DES SAUGETTES
Oh ! Elle ne t'a pas fait mal, au moins ?

SAINT-FRANQUET(rageur.)
Non, non ! Fous le camp.

DES SAUGETTES(ramassant le bouquet et le retendant à Saint-Franquet.)
Alors, tu lui offriras ce bouquet de violettes, ça lui fera plaisir !

SAINT-FRANQUET
Oh !… Oui, bon ! Allez ! On t'a assez vu ! Fous-moi le camp.

DES SAUGETTES
Comme hier, alors ?

SAINT-FRANQUET
Oui, comme hier ! Allez ! va !

DES SAUGETTES
C'est ça… oui !… (Il se dirige vers la porte.)
Tu… tu n'as pas besoin de moi, non ?

SAINT-FRANQUET
Mais non, voyons, puisque je te dis de t'en aller.

DES SAUGETTES
C'est juste ! Alors, je m'en vais. Au revoir !

SAINT-FRANQUET
Au revoir, au revoir ! Oh ! zut !

DES SAUGETTES(en sortant.)
Il est gentil !

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