ACTE III - Scène V



(LES MÊMES, PLANTARÈDE. )

TOUS (, À LA VUE DE PLANTARÈDE.)
Plantarède !

SAINT-FRANQUET
Lui ! Je l'avais oublié !

PLANTARÈDE(menaçant, les bras croisés. )
Non, mais dites donc, vous autres, vous en avez de bonnes ! J'ai réfléchi… (A Saint-Franquet.)
Mais c'est ma femme qui était dans votre lit

TOUS
Hein ?

PLANTARÈDE
Sur le moment, je n'y ai vu que du feu ! Mais à la réflexion, tout en courant, ça m'est revenu ! Ah ! vous avez bien dû vous fiche de moi…

PLANTARÈDE
C'est clair ! je suis la poire ! Je la suis !

MICHELINE(avec provocation.)
Tu aurais même pu dire : "je le suis ! "

SAINT-FRANQUETET BICHON
Oh !

PLANTARÈDE(faisant un pas vers sa femme.)
Quoi ?…

SAINT-FRANQUET(s'interposant.)
Plantarède !…

PLANTARÈDE
Taisez-vous !

MICHELINE
Parfaitement ! C'est à moi de parler !

PLANTARÈDE
Non, pardon, c'est à moi ! Qu'est-ce que vous faites ici, madame ?

MICHELINE
Exactement ce que vous faisiez cette nuit, monsieur… je ne sais où… à Châteaudun, Paris, Seine !

PLANTARÈDE
Qu'est-ce que vous dites ?

MICHELINE
Je dis que vous étiez avec votre maîtresse ! Une femme de cœur, d'ailleurs, à qui je rends hommage. Eh bien, moi, je suis ici chez mon amant.

PLANTARÈDE
Malheureuse !

SAINT-FRANQUET
Mais non ! mais non !

BICHON
Mais c'est faux !

SAINT-FRANQUET
Plantarède, je vous jure !…

MICHELINE
Oui ! évidemment, le devoir de monsieur Saint-Franquet.!… Mais moi, j'affirme… et d'ailleurs, je crois que le tableau est assez édificateur !

PLANTARÈDE
C'est très bien, madame ! Je sais ce qu'il me reste à faire.

MICHELINE(se levant. )
Et moi de même, monsieur. J'ai heureusement tout un lot de pièces en mains, qui me permettront de demander le divorce.

PLANTARÈDE
A votre aise, madame.

MICHELINE
Adieu, monsieur.

PLANTARÈDE
Adieu.

MICHELINE(avec un sourire tendre à Saint-Franquet. )
A tout à l'heure… Gérard ! (Elle sort par la salle de bains.)

BICHON
Elle est marteau, elle est complètement marteau !

PLANTARÈDE(à Saint-Franquet.)
Quant à vous, monsieur…

SAINT-FRANQUET
C'est bien, trêve de discussion, monsieur ! Je vous dois une réparation… Je suis à vos ordres !…

PLANTARÈDE
Je l'entends bien ainsi ! Demain, deux de mes amis…

SAINT-FRANQUET
Il suffit !

BICHON
"Deux de mes amis ! A vos ordres ! " Ah ! non, non ! vous n'allez pas vous entrelarder par-dessus le marché !

PLANTARÈDE
Comment !

SAINT-FRANQUET
Et pourquoi donc pas ?

BICHON
Mais parce que… parce que… il n'y a pas de raisons… parce que tu n'as pas été l'amant de madame Plantarède !

SAINT-FRANQUET
Quoi ?

PLANTARÈDE
Ah ! non ! à d'autres !

SAINT-FRANQUET
Mais parfaitement ! Monsieur Plantarède a raison ! Il nous a surpris en flagrant délit, madame Plantarède a proclamé sa culpabilité… Ceci me dicte ma conduite. Oui, j'ai été l'amant de madame Plantarède.!

PLANTARÈDE
Là ! C'est clair !

BICHON(à Plantarède. )
Mais non ! non ! Si tu n'étais pas bouché à l'émeri, tu comprendrais que tout ça c'est un coup monté !

PLANTARÈDE
Quoi ?

SAINT-FRANQUET(à Bichon.)
Ah ! tais-toi !

BICHON
Non ! je parlerai ! (A Plantarède.)
Un coup monté par ta femme qui a appris que tu lui en faisais voir, et qui, pour se venger…

PLANTARÈDE
Hein !

BICHON(montrant Saint-Franquet.)
Et alors, cette autre poire, là, se croit obligé, par cavalerie française…

SAINT-FRANQUET
Quoi ?

BICHON
Parfaitement !… de jouer le rôle qu'on lui impose !

SAINT-FRANQUET
C'est faux ! c'est faux !

BICHON
C'est faux ?… Mais la preuve, tiens ! tiens ! (Montrant successivement le lit et la chaise-longue.)
C'est ça… et ça ! Deux lits ! Généralement, quand on veut se donner à un homme, on ne commence pas par faire lit à part !

SAINT-FRANQUET(tandis que Plantarède écoute interloqué.)
Oh ! pardon !

BICHON
Ta gueule, toi ! (A Plantarède.)
Mais la preuve que c'est faux, c'est la rage qu'il met à s'accuser. Voilà un garçon qui s'est fiancé hier, et c'est ce moment-là qu'il aurait choisi ! Allons donc ! Ah ! si tu étais un peu psychologe…

SAINT-FRANQUET
Tu as bientôt fini, Bichon ?

BICHON
Je te dis que tu n'as pas été l'amant de madame Plantarède !

SAINT-FRANQUET
Si, j'ai été l'amant de madame Plantarède !

BICHON
Non, tu n'as pas été l'amant…

SAINT-FRANQUET
Si, j'ai été l'amant !

PLANTARÈDE(éclatant.)
Eh bien, non ! Vous n'avez pas été l'amant de madame Plantarède !

SAINT-FRANQUET(abasourdi.)
Quoi ?

PLANTARÈDE
Je dis : "Non, vous n'avez pas été l'amant ! "

SAINT-FRANQUET
Plantarède !…

PLANTARÈDE(menaçant.)
Si vous n'êtes pas content !… Ah ! mais ! j'y vois clair, à présent ! C'est trop cousu de fil blanc … On peut me fiche dedans un moment ; mais il y a des limites. Eh bien, non ! vous n'avez pas été l'amant !

SAINT-FRANQUET(presque crié. )
Eh ! bien, non ! Je n'ai pas été l'amant de madame Plantarède.!

PLANTARÈDE
Ah ! mais !

SAINT-FRANQUET
Ah ! mais !

PLANTARÈDE(s'attendrissant.)
Grosse bête !

SAINT-FRANQUET(même jeu.)
Vieil ami !

BICHON(à part.)
Ouf ! Ça n'a pas été sans peine !

PLANTARÈDE(finement.)
Vous savez, au fond, très au fond… Je n'y ai pas cru un instant !

SAINT-FRANQUET
Ah !

PLANTARÈDE
Mais voyons, ma femme ! un amant ! Je la connais un peu !

SAINT-FRANQUET(gêné.)
Oui, oui !

PLANTARÈDE
Et puis, comme dit Bichon. le jour même de vos fiançailles !

SAINT-FRANQUET(abondant dans son sens.)
Mais voyons !

PLANTARÈDE
Tout ça hurle d'invraisemblance ! Mais je vois la scène : Ma femme découvrant le pot aux roses, accourant chez vous furieuse ! "Mon mari me trompe, je veux me venger ! "

SAINT-FRANQUET
Voilà !

PLANTARÈDE
Vous la raisonnez, vous essayez de la calmer… et, dans la crainte qu'elle aille faire quelque bêtise ailleurs, vous commencez par la claustrer !

SAINT-FRANQUET
Voilà ! voilà !

PLANTARÈDE
Ah ! mon ami, mon ami, quelle chance qu'elle soit venue chez vous ! Voyez-vous, si elle était tombée chez un autre !

SAINT-FRANQUET
J'en frémis.

PLANTARÈDE(à Bichon. )
Vois-tu ça !

BICHON(à part.)
C'est tout de même gobeur, un mari !

PLANTARÈDE(à Saint-Franquet.)
Mais dites-moi, ce n'est pas vrai, n'est-ce pas, qu'elle va demander le divorce ?

SAINT-FRANQUET
Ah ! dame !…

PLANTARÈDE
Mais ce n'est pas possible ! Pour une petite incartade qui date d'hier…

SAINT-FRANQUET
Ça, encore, elle passerait dessus… Mais ce qu'elle ne vous pardonne pas, c'est votre liaison !

PLANTARÈDE
Ma liaison ?

SAINT-FRANQUET
Aussi, pourquoi laissez-vous traîner vos lettres d'amour ! Votre femme a mis la main sur tout le paquet.

PLANTARÈDE
Mes lettres d'amour ? Mais je ne sais pas ce que vous voulez dire ! Je vous jure, j'ignore… Ou alors, ça date de ma vie de garçon. De qui, ces lettres ?

SAINT-FRANQUET
D'une madame… madame… un nom comme gilet de chasse.

PLANTARÈDE
Je n'ai jamais eu de maîtresse de ce nom-là.

SAINT-FRANQUET
Attendez ! Tricot ? Madame Tricot…

PLANTARÈDE
Mais pas plus de tricot que de gilet de chasse !

SAINT-FRANQUET
Cependant, je crois bien me souvenir…

PLANTARÈDE(tout à coup.)
Ah !… Adélaïde Crochet !…

SAINT-FRANQUET(surpris. )
Crochet !

PLANTARÈDE
Tricot, Crochet ! ça se ressemble.

SAINT-FRANQUET
Vous avez connu Adélaïde Crochet !

PLANTARÈDE
Oui, autrefois.

SAINT-FRANQUET
Tiens ! Moi aussi !

PLANTARÈDE
Allons donc ! Quelle année ?

SAINT-FRANQUET
1903.

PLANTARÈDE
Ah ! Moi, 1905.

SAINT-FRANQUET
Oui… Elle avait deux ans de plus !

PLANTARÈDE
Ben oui ! mais moi, neuf de moins !

BICHON(le montrant.)
C'est-y assez catin, les hommes !

PLANTARÈDE
Alors, ça n'est pas elle ? Ça n'est pas Adélaïde ?

SAINT-FRANQUET
Non, non ! sûrement !

PLANTARÈDE
Alors, je ne vois pas ! je vous jure !… En tous cas, je vous en prie, mon cher, éclaircissez-moi ça, voyez ma femme, prêchez-lui la raison. Ce serait trop bête… car enfin, je l'aime, moi ! Je te demande pardon, Bichon. Et puis, quel effet ça ferait au Palais !

SAINT-FRANQUET
C'est bien ! Allez vous promener dix minutes, puis revenez. Pendant ce temps, j'entreprends madame Plantarède et j'espère, avec l'aide de Bichon.

PLANTARÈDE
De Bichon ?

SAINT-FRANQUET
Oui, elle a une grande influence sur elle.

PLANTARÈDE(ahuri.)
Ah ?

SAINT-FRANQUET
Qu'elle plaide votre cause, et vous êtes acquitté.

BICHON
Oh ! tu dis ça… C'est une pure hypothèque !

SAINT-FRANQUET
Une pure hypothèque, tu l'as dit. Allez, Plantarède, allez !

PLANTARÈDE
C'est ça, c'est ça ! Et soyez éloquents ! (Il sort.)

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