ACTE III - Scène IV



(MICHELINE BICHON, PLANTARÈDE, PUIS SAINT-FRANQUET.)

BICHON(entrant bras dessus, bras dessous avec Plantarède.)
Coucou ! Nous voilà !… Tiens, il n'est pas là !

PLANTARÈDE
Tu crois que ça va lui faire plaisir, notre visite ? C'est peut-être pas de très bon goût, après…

BICHON(l'embrassant.)
Mais si ! mais si ! Il n'a pas l'esprit étroit. (A la voix de Plantarède. on a vu un soubresaut sous le drap qui cache Micheline.)

PLANTARÈDE
Oui, enfin… tu le prends sur toi ?

BICHON
Mais oui ! mais oui ! (Appelant.)
Gérard !

VOIX DE SAINT-FRANQUET
Mais voilà, ça chauffe !

BICHON
Qu'est-ce qu'il dit ?

SAINT-FRANQUET (entrant et croyant parler à Micheline.)
Voilà, voilà, ma chère amie… (Reconnaissant Bichon et Plantarède.)
Ah !

BICHON
Qu'est-ce qu'il a ?

SAINT-FRANQUET
Non d'un chien, vous ! Comment êtes-vous entrés ?

BICHON
Eh ben, avec ma clé !

SAINT-FRANQUET
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que vous voulez ?

BICHON
Eh ben, voilà… on te rend visite.

SAINT-FRANQUET
Ah ! oui ! Eh ben, vous savez…

BICHON
Quoi ? C'est pas gentil ?… Les nouveaux mariés, le lendemain de leur noce, ils vont embrasser la famille ! Eh ben, on te considère comme de la famille.

SAINT-FRANQUET(s'efforçant de les pousser vers la droite.)
Oui, c'est très gentil ! Tenez, venez par là, venez par là…

BICHON
Mais non, on est très bien ici ! Tu ne vas pas faire des cérémonies avec nous.

PLANTARÈDE(s'asseyant sur le lit et prenant Bichon sur ses genoux.)
Ah ! bien, par exemple ! Ah ! mon cher ami, elle est charmante ! Ah ! vous avez un goût !

BICHON(faisant des petites manières.)
Ah ! monsieur !

SAINT-FRANQUET
Mais taisez-vous donc !

PLANTARÈDE
Mais pas du tout, je le dis hautement ! (Riant.)
Ma pauvre femme qui me croit à Châteaudun Soubresaut sous le drap.

SAINT-FRANQUET(les dents serrées.)
Mais voyons, Plantarède.

PLANTARÈDE(riant toujours.)
Quand je suis rentré hier, comme elle était sortie, je lui ai laissé un mot : "Obligé partir vingt- quatre heures pour affaires à Châteaudun ! "

SAINT-FRANQUET(à part.)
Oh ! l'idiot !

PLANTARÈDE
Dites donc, vous n'auriez pas le téléphone, que je téléphone à ma femme, de Châteaudun !

MICHELINE(rejetant son drap et se relevant brusquement à genoux sur le lit.)
Ah ! tu veux me téléphoner de Châteaudun !…

BICHON(effrayée.)
Ah !…

PLANTARÈDE
Nom de Dieu, ma femme ! (Il détale comme un lapin.)

MICHELINE
Veux-tu rester là ! veux-tu rester là !

SAINT-FRANQUET
Calmez-vous ! calmez-vous !

MICHELINE
Laissez-moi. (A Bichon.)
Ah ! je vous félicite, madame ! Vous faites un joli métier !

BICHON
Quoi ?

MICHELINE(à Saint-Franquet. )
Et vous, il ne vous manquait plus que de me mettre en contact avec des courtisanes !

BICHON(furieuse.)
Courtisanes !

SAINT-FRANQUET(à Micheline.)
Madame, je vous en prie…

BICHON
Courtisane ! Non, mais je voudrais bien savoir laquelle de nous deux a le plus l'air de la courtisane en ce moment !

MICHELINE(indignée)
. Qu'est-ce que vous dites ?…

BICHON(continuant.)
De moi qui suis là, dans une tenue convenable, ou de vous que je trouve en chemise dans le lit de mon amant !

MICHELINE
Vous saurez, madame, que je suis une honnête femme… et que si je suis ici, ça n'est pas pour… pour ce que vous avez l'air de supposer.

BICHON
Non… Vous attendez le tramway !

MICHELINE
… mais pour me venger ! pour punir mon mari de ses infidélités, dont vous avez été la complice, pour lui rendre la pareille !

BICHON
Oui ? Eh ben, tant pis pour vous !

SAINT-FRANQUET
Allons, Bichon en voilà assez ! et je te prie de te taire.

BICHON
Oui ! Eh bien, toi, je te prie de me parler autrement. Je ne suis plus avec toi, n'est-ce pas ? Si tu n'es pas content, mon amant est là pour te répondre.

SAINT-FRANQUET
Heu ? Quel amant ?

BICHON
Plantarède. donc !

MICHELINE
Mon mari !

SAINT-FRANQUET(à Bichon.)
Oh ! ben, tu en as un culot !

MICHELINE(pleurant.)
Oh ! voilà ce que vous me valez, vous ! voilà ce que me valez !

SAINT-FRANQUET(avec l'accent du désespoir. )
Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse !

MICHELINE(comme précédemment.)
Ah ! je suis une malheureuse ! une malheureuse !

SAINT-FRANQUET
Voyons, voyons ! (A Bichon.)
Tu es contente de ton ouvrage, toi ? Moi qui te croyais un peu de cœur…

BICHON
Eh ben oui, là ! Aussi pourquoi est-ce qu'elle me dit…

SAINT-FRANQUET
Oh ! ça, oui, tu peux être contente !

BICHON(se radoucissant, et à Micheline.)
Allons, madame, ne vous désolez pas !… Je vous demande pardon… J'ai été un peu vive !

MICHELINE(avec un sanglot.)
Ah !

BICHON
Ben oui, j'ai eu tort ! D'autant que je comprends, vous en avez évidemment après moi !… parce que j'ai pris votre mari…

MICHELINE(comme précédemment.)
Ah !

BICHON
Qu'est-ce que vous voulez ! Nous n'y regardons pas de si près ! Quand l'occase se présente, nous ne regardons pas si on est un mari ou si on n'est pas un mari… On ne voit que le chopin, s'pas ! Si on devait écarter les gens mariés, ah ! ben, merci, madame ! mais on ne s'y retrouverait pas, madame ! parce qu'avec les gigolos… y a pas gras

MICHELINE
Le misérable !

BICHON
Qui ça ? Votre mari ? Mais non ; il est comme les autres ! Seulement, la femme sait ou ne sait pas ! … Le chiendent, c'est que vous, vous avez appris. (A Saint-Franquet.)
Oh ! qu'est-ce qu'on parie que c'est toi, avec ton idiot de téléphonage d'hier au fauteuil 49 ?

MICHELINE(à Saint-Franquet.)
Hein ! C'était vous ! Ah ! vous ne vous en étiez pas vanté !

SAINT-FRANQUET
Ben…

BICHON
Ah ! ce que tu peux être gourde !

MICHELINE
Ah ! oui, il peut être gourde !

SAINT-FRANQUET
Evident ! ça va être de ma faute !

BICHON(à Micheline.)
Et voilà pourquoi tout ça ! pourquoi vous êtes dans son lit et que vous avez… tout ça… pour vous venger de l'autre !

MICHELINE
Mais naturellement !

BICHON
C'est idiot !

MICHELINE
Comment ?

BICHON
Vous êtes bien avancée ! Ah ! oui ! Ça fait-il que vous êtes moins trompée aujourd'hui ? Non ! Avez-vous trouvé, un moment, ça de plaisir avec lui ? Non !

MICHELINE
Non !

BICHON
C'est ce que je dis !

SAINT-FRANQUET(à part.)
Qu'est-ce que je prends !

BICHON
Ah ! si j'avais été là, je vous aurais dit "Madame ! Madame ! vous allez faire une de ces gaffes !… Faites donc pas d'histoires. Votre mari a fait des siennes ? Eh ben, fermez les yeux, tout ça n'a aucune importance. Restez donc bien tranquille, et, comme on dit, attendez le retour de l'enfant prodige !

SAINT-FRANQUET(rectifiant.)
Digue !

BICHON
Quoi, digue ?

SAINT-FRANQUET
Digue, donc !

BICHON
Diguedon ! T'es dingue ?

MICHELINE(à Saint-Franquet.)
Mais laissez donc madame ! (A Bichon.)
"L'enfant prodigue ! " J'ai très bien compris, madame !

BICHON
Oui, C'est une manie chez lui, madame ! (Reprenant.)
Attendez le retour de l'enfant prodigue ! Là ! Il reviendra sûrement ! Comme l'a dit très bien un poète…

SAINT-FRANQUET(admiratif.)
Oh !

BICHON(très digne.)
Comme l'a très bien dit un poète : "Laissez pisser le mérinos ! "

SAINT-FRANQUET(suffoqué.)
Oh !

BICHON
Ce qui veut dire : "Attendez que le caprice soit passé ! ".

MICHELINE(avec élan.)
Ah ! merci, madame ! merci pour ces paroles réconfortantes !

SAINT-FRANQUET(moqueur, à Bichon.)
Je ne te savais pas ce talent d'orateur.

BICHON
Tu n'as jamais pris la peine de me causer.

MICHELINE(à Saint-Franquet. )
Voilà, tenez ! voilà une femme de cœur !

SAINT-FRANQUET
Je m'incline !

MICHELINE
C'est bien regrettable que vous n'en ayez pas pris de la graine !

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