ACTE IV - Scène VI



(LES MÊMES, RICARDO, DOÑASOL.)

DOÑA SOL(conduite par Ricardo.)
Des soldats ! L'empereur !… ô ciel ! Coup imprévu ! Hernani !…

HERNANI(à part.)
Doña Sol !

DON RUY GOMEZ(à côté d'Hernani.)
Elle ne m'a point vu !
(Doña Sol court à Hernani, il la fait reculer d'un regard de défiance.)

HERNANI
Madame…

DOÑA SOL(tirant le poignard de son sein.)
J'ai toujours son poignard !

HERNANI(lui tendant les bras.)
Mon amie !

DON CARLOS(aux conjurés.)
Silence tous. — Votre âme est-elle raffermie ? Il convient que je donne au monde une leçon. Lara le castillan et Gotha le saxon, Vous tous ! Que venait-on faire ici ? Parlez !

HERNANI(fait un pas.)
Sire, La chose est toute simple ; et l'on peut vous la dire. Nous gravions la sentence au mur de Balthazar ;(Il tire un poignard et l'agite.)
Nous rendions à César ce qu'on doit à César.

DON CARLOS(à don Ruy Gomez.)
Bien ! — vous traître, Silva ?

DON RUY GOMEZ
Lequel de nous deux, sire ?

HERNANI(se tournant vers les conjurés.)
Nos têtes et l'empire !… il a ce qu'il désire.(À l'empereur.)
Le bleu manteau des rois pouvait gêner vos pas. Le pourpre vous va mieux, le sang n'y paraît pas !

DON CARLOS(à don Ruy Gomez.)
Mon cousin de Silva, c'est une félonie À faire du blason rayer ta baronnie ! C'est haute trahison, don Ruy, songes-y bien.

DON RUY GOMEZ
Les rois Rodrigue font les comtes Julien.

DON CARLOS(au duc d'Alcala.)
Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte. Le reste !…
(Les grands seigneurs sortent du groupe des conjurés où est resté Hernani. Le duc d'Alcala les entoure de gardes.)

DOÑA SOL(à part.)
Il est sauvé !…

HERNANI(sortant du groupe des conjurés.)
Je prétends qu'on me compte !(À don Carlos.)
Puisqu'il s'agit de hache ici ; puisqu'Hernani, Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni ; Puisque son front n'est plus au niveau de ton glaive ; Puisqu'il faut être grand pour mourir, — je me lève ! Dieu, qui donne le sceptre et qui te le donna, M'a fait duc de Ségorbe et duc de Cardona, Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomte De Gor, seigneur de lieux dont j'ignore le compte. Je suis Jean D'Aragon, grand-maître d'Avis, né Dans l'exil, fils proscrit d'un père assassiné Par sentence du tien, roi Carlos de Castille. Le meurtre est entre nous affaire de famille. Vous avez l'échafaud, nous avons le poignard. Donc le ciel m'a fait duc, et l'exil montagnard. Mais puisque j'ai sans fruit aiguisé mon épée Sur les monts, et dans l'eau des torrents retrempée,(Il met son chapeau.)
Couvrons-nous, grand d'Espagne.(Tous les conjurés grands d'Espagne se couvrent en même temps.)
Oui, nos têtes, ô roi, Ont le droit de tomber couvertes devant toi !(Aux prisonniers.)
Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race, Place à Jean D'Aragon ! Ducs et comtes, ma place !(Aux courtisans et aux gardes.)
Je suis Jean D'Aragon, roi, bourreaux et valets ! Et si vos échafauds sont petits, changez-les ! Il va se joindre au groupe des seigneurs.

DOÑA SOL
Ciel !

DON CARLOS
En effet, j'avais oublié cette histoire.

HERNANI
Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire. L'affront que l'offenseur oublie en insensé, Vit, et toujours remue au cœur de l'offensé !

DON CARLOS
Donc, je suis, c'est un titre à n'en point vouloir d'autres, Fils de pères qui font choir la tête des vôtres ?

DOÑA SOL(à genoux devant l'empereur.)
Sire ! Pardon ! Pitié, sire ! Soyez clément ! Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant, Mon époux. En lui seul je respire ! Oh ! Je tremble !… Sire ! Ayez la pitié de nous tuer ensemble ! Majesté ! Je me traîne à vos sacrés genoux ! Je l'aime ! Il est à moi comme l'empire à vous !… — Oh ! Grâce !(L'empereur la regarde immobile.)
Quel penser sinistre vous absorbe ?

DON CARLOS(avec un soupir profond.)
Allons, relevez-vous, duchesse de Ségorbe, Comtesse Albatera, marquise de Monroy…(À Hernani.)
Tes autres noms, don Juan ?

HERNANI
Qui parle ainsi ? Le roi ?

DON CARLOS
Non, l'empereur.

DOÑA SOL(se relevant.)
Ô ciel !

DON CARLOS(la montrant à Hernani.)
Duc ! Voilà ton épouse.

HERNANI(les yeux au ciel.)
Juste Dieu !

DON CARLOS(à don Ruy Gomez.)
Mon cousin, ta noblesse est jalouse, Je sais ; mais Aragon peut épouser Silva.

DON RUY GOMEZ(sombre.)
Ce n'est pas ma noblesse.

HERNANI(regardant avec amour Doña Sol et la tenant embrassée.)
Oh ! Ma haine s'en va !
(Il jette son poignard.)

DOÑA SOL(dans les bras d'Hernani.)
Ô mon duc !

HERNANI
Je n'ai plus que de l'amour dans l'âme, Doña Sol !

DON CARLOS(à part, la main dans sa poitrine.)
Éteins-toi, cœur jeune et plein de flamme ! Laisse régner l'esprit que longtemps tu troublas. Tes amours désormais, tes maîtresses, hélas ! C'est l'Allemagne, c'est la Flandre, c'est l'Espagne.(L'œil fixé sur sa bannière.)
L'empereur est pareil à l'aigle, sa compagne : À la place du cœur il n'a qu'un écusson !

HERNANI
Ah ! Vous êtes César !

DON CARLOS
De ta noble maison, Don Juan, ton cœur est digne…(Montrant doña Sol.)
Il est digne aussi d'elle. — À genoux, duc !(Hernani s'agenouille. Don Carlos détache sa toison d'or et la lui passe au cou.)
Reçois ce collier ;(Il tire son épée, et l'en frappe trois fois sur l'épaule.)
Sois fidèle ! Par saint Étienne, duc, je te fais chevalier.(Il le relève et l'embrasse.)
Mais tu l'as, le plus doux et le plus beau collier ! Celui que je n'ai pas, qui manque au rang suprême, Les deux bras d'une femme aimée et qui vous aime ! Ah ! Tu vas être heureux ; moi, je suis empereur.(Aux conjurés.)
Je ne sais plus vos noms, messieurs ; haine et fureur, Je veux tout oublier. Allez : je vous pardonne ! C'est la leçon qu'au monde il convient que je donne.

LES CONJURÉS(à genoux.)
Gloire à Carlos !

DON RUY GOMEZ(à don Carlos.)
Moi seul, je reste condamné.

DON CARLOS
Et moi !

DON RUY GOMEZ(à part.)
Mais, comme lui, je n'ai point pardonné !

HERNANI
Qui donc nous change tous ainsi ?

TOUS
Vive Allemagne ! Honneur à Charles-Quint !

DON CARLOS(se tournant vers le tombeau.)
Honneur à Charlemagne ! Laissez-nous seuls tous deux.
(Tous se retirent au fond du théâtre.)

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